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LES �TRENNES DES ORPHELINS


   Les �trennes des orphelins sont le premier po�me en vers fran�ais de Rimbaud qui nous soit parvenu. L'ann�e 1869 avait consacr� l'�l�ve Rimbaud comme un brillant auteur de vers latins. Le Bulletin officiel de l'Acad�mie de Douai avait publi� "Ver erat..." le 15 janvier et "Jamque novus..." le 1er juin. Jugurtha, premier prix de vers latins au Concours acad�mique du 2 juillet, avait �t� imprim� le 15 novembre par le Moniteur de l'enseignement secondaire.  C'est dans ce contexte qu'Arthur, en d�cembre 1869,

d�cide d'adresser un de ses essais po�tiques en vers fran�ais � un p�riodique national. La Revue pour tous �tait une sorte de revue familiale, hebdomadaire, qui publiait des po�mes en puisant aussi bien chez les auteurs consacr�s que dans les productions d'amateurs. Les �trennes des orphelins y paraissent le 2 janvier 1870. J.-J. Lefr�re �voque avec pr�cision dans sa biographie de Rimbaud les p�rip�ties qui ont accompagn� cette publication (Arthur Rimbaud, Fayard, 2001, p.99-103).


 


Publi� dans La Revue pour tous du 2 janvier 1870. Pas de manuscrit connu.

Vu sa date de publication, ce po�me a �videmment �t� r�dig� en 1869. Nous le pla�ons sous la rubrique "1870" par commodit�.

Les lignes de pointill�s, � la fin des quatri�me et cinqui�me sections, marquent peut-�tre l'emplacement des coupes qu'exigea la revue dans un texte jug� trop long. Cf. Lefr�re (ibid.)
 

               Les �trennes des orphelins

                                    I


La chambre est pleine d'ombre ; on entend vaguement
De deux enfants le triste et doux chuchotement.
Leur front se penche, encore alourdi par le r�ve,
Sous le long rideau blanc qui tremble et se soul�ve...
Au dehors les oiseaux se rapprochent frileux ;
Leur aile s'engourdit sous le ton gris des cieux ;
Et la nouvelle Ann�e, � la suite brumeuse,
Laissant tra�ner les plis de sa robe neigeuse,
Sourit avec des pleurs, et chante en grelottant...

                                    II

Or les petits enfants, sous le rideau flottant,
Parlent bas comme on fait dans une nuit obscure.
Ils �coutent, pensifs, comme un lointain murmure...
Ils tressaillent souvent � la claire voix d'or
Du timbre matinal, qui frappe et frappe encor
Son refrain m�tallique et son globe de verre...
Puis, la chambre est glac�e... on voit tra�ner � terre,
�pars autour des lits, des v�tements de deuil :
L'�pre bise d'hiver qui se lamente au seuil
Souffle dans le logis son haleine morose !
On sent, dans tout cela, qu'il manque quelque chose...
Il n'est donc point de m�re � ces petits enfants,
De m�re au frais sourire, aux regards triomphants ?
Elle a donc oubli�, le soir, seule et pench�e,
D'exciter une flamme � la cendre arrach�e,
D'amonceler sur eux la laine de l'�dredon
Avant de les quitter en leur criant : pardon.
Elle n'a point pr�vu la froideur matinale,
Ni bien ferm� le seuil � la bise hivernale ?...
Le r�ve maternel, c'est le ti�de tapis,
C'est le nid cotonneux o� les enfants tapis,
Comme de beaux oiseaux que balancent les branches,
Dorment leur doux sommeil plein de visions blanches !...
Et l�, c'est comme un nid sans plumes, sans chaleur,
O� les petits ont froid, ne dorment pas, ont peur ;
Un nid que doit avoir glac� la bise am�re...

                                     III

Votre c�ur l'a compris : ces enfants sont sans m�re.
Plus de m�re au logis ! et le p�re est bien loin !...
Une vieille servante, alors, en a pris soin.
Les petits sont tout seuls en la maison glac�e ;
Orphelins de quatre ans, voil� qu'en leur pens�e
S'�veille, par degr�s, un souvenir riant...
C'est comme un chapelet qu'on �gr�ne en priant :
Ah ! quel beau matin, que ce matin des �trennes !
Chacun, pendant la nuit, avait r�v� des siennes
Dans quelque songe �trange o� l'on voyait joujoux,
Bonbons habill�s d'or, �tincelants bijoux,
Tourbillonner, danser une danse sonore,
Puis fuir sous les rideaux, puis repara�tre encore !
On s'�veillait matin, on se levait joyeux,
La l�vre affriand�e, en se frottant les yeux...
On allait, les cheveux emm�l�s sur la t�te,
Les yeux tout rayonnants, comme aux grands jours de f�te,
Et les petits pieds nus effleurant le plancher,
Aux portes des parents tout doucement toucher...
On entrait !... Puis alors les souhaits... en chemise,
Les baisers r�p�t�s, et la ga�t� permise !

                                     IV

Ah ! c'�tait si charmant, ces mots dits tant de fois !
Mais comme il est chang�, le logis d'autrefois :
Un grand feu p�tillait, clair, dans la chemin�e,
Toute la vieille chambre �tait illumin�e ;
Et les reflets vermeils, sortis du grand foyer,
Sur les meubles vernis aimaient � tournoyer...
L'armoire �tait sans clefs !... sans clefs, la grande armoire !
On regardait souvent sa porte brune et noire...
Sans clefs !... c'�tait �trange !... on r�vait bien des fois
Aux myst�res dormant entre ses flancs de bois,
Et l'on croyait ou�r, au fond de la serrure
B�ante, un bruit lointain, vague et joyeux murmure...
La chambre des parents est bien vide, aujourd'hui :
Aucun reflet vermeil sous la porte n'a lui ;
Il n'est point de parents, de foyer, de clefs prises :
Partant, point de baisers, point de douces surprises !
Oh ! que le jour de l'an sera triste pour eux !
Et, tout pensifs, tandis que de leurs grands yeux bleus,
Silencieusement tombe une larme am�re,
Ils murmurent : "Quand donc reviendra notre m�re ?"
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                                        V

Maintenant, les petits sommeillent tristement :
Vous diriez, � les voir, qu'ils pleurent en dormant,
Tant leurs yeux sont gonfl�s et leur souffle p�nible !
Les tout petits enfants ont le c�ur si sensible !
Mais l'ange des berceaux vient essuyer leurs yeux,
Et dans ce lourd sommeil met un r�ve joyeux,
Un r�ve si joyeux, que leur l�vre mi-close,
Souriante, semblait murmurer quelque chose...
Ils r�vent que, pench�s sur leur petit bras rond,
Doux geste du r�veil, ils avancent le front,
Et leur vague regard tout autour d'eux se pose...
Ils se croient endormis dans un paradis rose...
Au foyer plein d'�clairs chante gaiement le feu...
Par la fen�tre on voit l�-bas un beau ciel bleu ;
La nature s'�veille et de rayons s'enivre...
La terre, demi-nue, heureuse de revivre,
A des frissons de joie aux baisers du soleil...
Et dans le vieux logis tout est ti�de et vermeil :
Les sombres v�tements ne jonchent plus la terre,
La bise sous le seuil a fini par se taire...
On dirait qu'une f�e a pass� dans cela !...
Les enfants, tout joyeux, ont jet� deux cris... L�,
Pr�s du lit maternel, sous un beau rayon rose,
L�, sur le grand tapis, resplendit quelque chose...
Ce sont des m�daillons argent�s, noirs et blancs,
De la nacre et du jais aux reflets scintillants ;
Des petits cadres noirs, des couronnes de verre,
Ayant trois mots grav�s en or : "� NOTRE M�RE !"
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