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LETTRE � TH�ODORE DE BANVILLE (1871)


 
    C'est en 1925 seulement qu'un critique litt�raire (Marcel Coulon) d�couvre dans une lettre adress�e � Th�odore de Banville le po�me intitul� : Ce qu'on dit au Po�te � propos de fleurs. L'envoi est sign� sans ambigu�t� par l'auteur, dont les initiales A.R. apparaissent � deux reprises, � la fin du po�me et � la fin de la lettre. Mais celui-ci a fait pr�c�der son monogramme du nom d'Alcide Bava, patronyme issu d'une famille peu recommandable (baver, bavasser... ) dont la phon�tique n'est pas sans rappeler celle du destinataire (BAVa / BAnVille) ! Conform�ment � ces suggestions ironiques, le po�me oscille entre pastiche et parodie, hommage � l'auteur des Odes funambulesque et moquerie � l'�gard du parnassien.
    Dans la br�ve missive qui suit le po�me, nous apprenons que Banville a r�pondu � la
 lettre du 24 mai 1870. Rimbaud prend soin de

rafra�chir la m�moire de son destinataire. Cette nouvelle lettre, l'informe-t-il, �mane du "m�me imb�cile" qui lui a �crit "de province" en "juin 1870". Se traiter lui-m�me d'"imb�cile" ou de "sot" semble �tre la mani�re trouv�e par le jeune po�te pour faire reproche � ses interlocuteurs de l'avoir trait� comme tel, en ne donnant pas suite � ses demandes de publication (voir, dans la lettre � Demeny du 10 juin 1871 : "br�lez tous les vers que je fus assez sot pour vous donner lors de mon s�jour � Douai"). M�me reproche implicite quand il demande : "Ai-je progress� ?". Cela ne signifie pas que la r�ponse de Banville � la lettre de 70 ait �t� r�ellement m�prisante pour les "hexam�tres mythologiques" du petit provincial mais montre que Rimbaud l'a interpr�t�e comme telle et en a con�u du d�pit.
     Fac-simil� en couleur dans : Arthur Rimbaud, Correspondance, pr�sentation et notes de Jean-Jacques Lefr�re, 2007, Fayard.


Lettre � Th�odore de Banville
15 ao�t 1871

Collection particuli�re

La date et le lieu d'envoi de la lettre sont inscrits en lettres minuscules en haut et � droite de la premi�re page. Cf. meilleure reproduction que ci-dessous : JJL entre les  p.192 et 193.

La mention "� Monsieur Th�odore de Banville" est-il une d�dicace ou un simple en-t�te �pistolaire ? L'ambigu�t� est probablement voulue. La plupart des �diteurs tranchent dans le sens de la d�dicace sans alerter leurs lecteurs sur cette ambigu�t�. Le m�me probl�me se manifeste pour Les po�tes de sept ans dans la lettre � Demeny du 10 juin 1871.  

Ce qu'on dit au Po�te � propos de fleurs est dat� du 14 juillet 1871. Ironie ?

v.41 - Rimbaud a �crit "desseins" ("Toujours, apr�s d'affreux desseins / De Lotos bleus ou d'H�lianthes,"). Les �diteurs ont g�n�ralement estim� qu'il s'agissait d'une faute d'orthographe et corrig� en "dessins". Mais les �diteurs les plus r�cents (Murphy 1999, Guyaux 2009) respectent le manuscrit.

Commentaire

 

                                               Charleville, Ardennes, 15 ao�t 1871.
 

               � Monsieur Th�odore de Banville
                                   _______

                    Ce qu'on dit au Po�te
                                � propos de fleurs
.


                       I
 
Ainsi, toujours, vers l'azur noir
O� tremble la mer des topazes,
Fonctionneront dans ton soir
Les Lys, ces clyst�res d'extases !
 
� notre �poque de sagous,
Quand les Plantes sont travailleuses,
Le Lys boira les bleus d�go�ts
Dans tes Proses religieuses !
 
Le lys de monsieur de Kerdrel,
Le Sonnet de mil huit cent trente,
Le Lys qu'on donne au M�nestrel
Avec l'�illet et l'amarante !
 
Des lys ! Des lys ! On n'en voit pas !
Et dans ton Vers, tel que les manches
Des P�cheresses aux doux pas,
Toujours frissonnent ces fleurs blanches !
 
Toujours, Cher, quand tu prends un bain,
Ta Chemise aux aisselles blondes
Se gonfle aux brises du matin
Sur les myosotis immondes !
 
L'amour ne passe � tes octrois
Que les Lilas, - � balan�oires !
Et les Violettes du Bois,
Crachats sucr�s des Nymphes noires !...
 
 
                         II
 
� Po�tes, quand vous auriez
Les Roses, les Roses souffl�es,
Rouges sur tiges de lauriers,
Et de mille octaves enfl�es !
 
Quand BANVILLE en ferait neiger,
Sanguinolentes, tournoyantes,
Pochant l'�il fou de l'�tranger
Aux lectures mal bienveillantes !
 
De vos for�ts et de vos pr�s,
� tr�s paisibles photographes !
La Flore est diverse � peu pr�s
Comme des bouchons de carafes !
 
Toujours les v�g�taux Fran�ais,
Hargneux, phtisiques, ridicules,
O� le ventre des chiens bassets
Navigue en paix, aux cr�puscules ;
 
Toujours, apr�s d'affreux desseins
De Lotos bleus ou d'H�lianthes,
Estampes roses, sujets saints
Pour de jeunes communiantes !
 
L'Ode A�oka cadre avec la
Strophe en fen�tre de lorette ;
Et de lourds papillons d'�clat
Fientent sur la P�querette.
 
Vieilles verdures, vieux galons !
� croquignoles v�g�tales !
Fleurs fantasques des vieux Salons !
Aux hannetons, pas aux crotales,
 
Ces poupards v�g�taux en pleurs
Que Grandville e�t mis aux lisi�res,
Et qu'allait�rent de couleurs
De m�chants astres � visi�res !
 
Oui, vos bavures de pipeaux
Font de pr�cieuses glucoses !
Tas d'�ufs frits dans de vieux chapeaux,
Lys, A�okas, Lilas et Roses !...
 
 
                         III
 
� blanc Chasseur, qui cours sans bas
� travers le P�tis panique,
Ne peux-tu pas, ne dois-tu pas
Conna�tre un peu ta botanique ?
 
Tu ferais succ�der, je crains,
Aux Grillons roux les Cantharides,
L'or des Rios au bleu des Rhins,
Bref, aux Norw�ges les Florides :
 
Mais, Cher, l'Art n'est plus, maintenant,
C'est la v�rit�, de permettre
� l'Eucalyptus �tonnant
Des constrictors d'un hexam�tre ;
 
L� !... Comme si les Acajous
Ne servaient, m�me en nos Guyanes,
Qu'aux cascades des sapajous,
Au lourd d�lire des lianes !
 
En somme, une Fleur, Romarin
Ou Lys, vive ou morte, vaut-elle
Un excr�ment d'oiseau marin ?
Vaut-elle un seul pleur de chandelle ?
 
Et j'ai dit ce que je voulais !
Toi, m�me assis l�-bas, dans une
Cabane de bambous, volets
Clos, tentures de perse brune,
 
Tu torcherais des floraisons
Dignes d'Oises extravagantes !...
Po�te ! ce sont des raisons
Non moins risibles qu'arrogantes !...
 
 
                       IV
 
Dis, non les pampas printaniers
Noirs d'�pouvantables r�voltes,
Mais les tabacs, les cotonniers !
Dis les exotiques r�coltes !
 
Dis, front blanc que Ph�bus tanna,
De combien de dollars se rente
Pedro Velasquez, Habana ;
Incague la mer de Sorrente
 
O� vont les Cygnes par milliers ;
Que tes strophes soient des r�clames
Pour l'abatis des mangliers
Fouill�s des hydres et des lames !
 
Ton quatrain plonge aux bois sanglants
Et revient proposer aux Hommes
Divers sujets de sucres blancs,
De pectoraires et de gommes !
 
Sachons par Toi si les blondeurs
Des Pics neigeux, vers les Tropiques,
Sont ou des insectes pondeurs
Ou des lichens microscopiques !
 
Trouve, � Chasseur, nous le voulons,
Quelques garances parfum�es
Que la Nature en pantalons
Fasse �clore ! pour nos Arm�es !
 
Trouve, aux abords du Bois qui dort,
Les fleurs, pareilles � des mufles,
D'o� bavent des pommades d'or
Sur les cheveux sombres des Buffles !
 
Trouve, aux pr�s fous, o� sur le Bleu
Tremble l'argent des pubescences,
Des calices pleins d'Oeufs de feu
Qui cuisent parmi les essences !
 
Trouve des Chardons cotonneux
Dont dix �nes aux yeux de braises
Travaillent � filer les n�uds !
Trouve des Fleurs qui soient des chaises !
 
Oui, trouve au c�ur des noirs filons
Des fleurs presque pierres, fameuses !
Qui vers leurs durs ovaires blonds
Aient des amygdales gemmeuses !
 
Sers-nous, � Farceur, tu le peux,
Sur un plat de vermeil splendide
Des rago�ts de Lys sirupeux
Mordant nos cuillers Alf�nide ! 
     

                        V
 
Quelqu'un dira le grand Amour,
Voleur des sombres Indulgences :
Mais ni Renan, ni le chat Murr
N'ont vu les Bleus Thyrses immenses !
 
Toi, fais jouer dans nos torpeurs,
Par les parfums les hyst�ries ;
Exalte-nous vers les candeurs
Plus candides que les Maries...
 
Commer�ant ! colon ! m�dium !
Ta Rime sourdra, rose ou blanche,
Comme un rayon de sodium,
Comme un caoutchouc qui s'�panche !
 
De tes noirs Po�mes, Jongleur !
Blancs, verts, et rouges dioptriques,
Que s'�vadent d'�tranges fleurs
Et des papillons �lectriques !
 
Voil� ! c'est le Si�cle d'enfer !
Et les poteaux t�l�graphiques
Vont orner, lyre aux chants de fer,
Tes omoplates magnifiques !
 
Surtout, rime une version
Sur le mal des pommes de terre !
Et, pour la composition
De po�mes pleins de myst�re
 
Qu'on doive lire de Tr�guier
� Paramaribo, rach�te
Des Tomes de Monsieur Figuier,
Illustr�s ! chez Monsieur Hachette !

ALCIDE BAVA.
A. R.

14 juillet 1871.

 

Monsieur et cher Ma�tre,

     Vous rappelez-vous avoir re�u de province, en juin 1870, cent ou cent cinquante hexam�tres mythologiques intitul�s Credo in unam ? Vous f�tes assez bon pour r�pondre !
     C'est le m�me imb�cile qui vous envoie les vers ci-dessus, sign�s Alcide Bava. Pardon.
     J'ai dix huit ans. J'aimerai toujours les vers de Banville.
     L'an pass� je n'avais que dix-sept ans !
     Ai-je progress� ?

ALCIDE BAVA.
A. R.

Mon adresse :

 
M. Charles Bretagne,
Avenue de M�zi�res, � Charleville,
pour
A. RIMBAUD.

 

 

 

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