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ARCHIVES PAUL DEMENY / DOSSIER DE DOUAI (1870)


   Pour les po�mes de 1870, les textes de r�f�rence sont ceux que Rimbaud a recopi�s et remis � Paul Demeny, lors de son s�jour � Douai, en septembre-octobre de cette m�me ann�e. Certains tr�s r�cents, comme la s�rie des sonnets dat�s "octobre 70" (qu'on appelle parfois le "cycle belge"), d'autres plus anciens parmi lesquels on reconna�t, sous un autre titre parfois, les po�mes de la lettre � Banville et des archives Georges Izambard.
  
On conna�t l'histoire. Pendant les grandes vacances de l'ann�e 1870, le lyc�en Arthur Rimbaud (16 ans), qui vient de rafler les plus hautes distinctions � la distribution des prix du "Coll�ge Municipal" de Charleville (Ardennes), d�cide d'abandonner le foyer familial. 29 ao�t : d�part pour Paris. Incarc�ration pour vagabondage � la prison de Mazas. 6 septembre : lettre d�sesp�r�e � son ancien professeur de rh�torique, Georges Izambard (22 ans) qui le fait lib�rer et l'accueille chez les demoiselles Gindre, ses tantes, qui l'ont �lev�, dans leur maison de Douai. 
   Rapatri� le 26 (ou le 27) septembre sur les instances de "la Mother", Arthur ne se supporte � "Charlestown" que jusqu'au 6 (ou 7) octobre, et une nouvelle fugue � travers la Belgique le ram�ne, vers la mi-octobre, chez Izambard, � Douai. Il regagne � nouveau Charleville fin octobre, cette fois semble-t-il sous la conduite d'un agent de police d�p�ch� par sa m�re.

    Avant d'�tre renvoy� au foyer maternel - fin septembre ou fin octobre (la date de cette d�marche est controvers�e parmi les sp�cialistes du po�te), Rimbaud se rend chez un ami de son professeur, le po�te et �diteur Paul Demeny, auteur d'un recueil de po�sies intitul� Les Glaneuses (que Rimbaud n'appr�ciait pas beaucoup : voir sa lettre du 25 ao�t 1870 � Izambard). L'auteur des Glaneuses est absent. Arthur d�pose � son domicile une liasse de feuilles de papier sur lesquelles il a soigneusement recopi� plusieurs de ses po�mes. Pour tout commentaire, un message h�tivement griffonn� au dos de Soleil et Chair, perpendiculairement au po�me :

   Le message, sur ce fac-simil� de la British Library, s'efface par endroits et est � peine lisible mais, avec une bonne loupe, on y arrive (sur celui de 1919 � Berrichon & Messein � l'�criture est davantage intacte mais le clich� est m�diocre) : "Je viens pour vous dire adieu, je ne vous trouve pas chez vous [...]. Je vous serre la main le plus violemment qu'il m'est possible. Bonne esp�rance. Je vous �crirai. Vous m'�crirez ? pas ?" Avec quelles intentions le jeune auteur confie-t-il ces textes � Paul Demeny ? Le billet ne le dit pas. Mais il le sugg�re. Car de quelle esp�rance peut-il s'agir ? Sans doute celle d'une publication.
   Le manuscrit resta dans un tiroir, o� il fut d�nich� par un admirateur dix-sept ans plus tard, longtemps apr�s que l'"homme aux semelles de vent" eut cess� d'�crire. Demeny avait-il laiss� entendre � Rimbaud qu�il pourrait �diter ses po�mes ? En tout cas, il n�en fit rien. 
Jamais la "Librairie Artistique" ne compta dans son modeste catalogue les virtuoses balbutiements po�tiques d'un adolescent de Charleville nomm� Arthur Rimbaud.
   
Le 10 juin 1871, Rimbaud �crit � Demeny : � br�lez, je le veux, et je crois que vous respecterez ma volont� comme celle d'un mort, br�lez tous les vers que je fus assez sot pour vous donner lors de mon s�jour � Douai �. Heureusement pour nous, une nouvelle fois, Demeny resta sourd aux d�sirs du jeune po�te. S'il avait ob�i, la plupart de ces textes nous seraient rest�s inconnus.

    Dans son livre Rimbaud, projets et r�alisations (Champion, 1983), Pierre Brunel montre chez le jeune Arthur Rimbaud l'existence d'une ambition litt�raire � toujours d��ue, contrari�e qu'elle fut par les ratages de la vie quotidienne ou les reniements de la "vieillerie po�tique". Il d�crit un d�sir pr�coce de "faire carri�re" dans la po�sie, se r�v�lant dans des strat�gies de diffusion : �dition dans des revues; envoi de lettres accompagn�es de po�mes � des auteurs en vue comme Banville ou Verlaine. Le recopiage des 22 po�mes du "Recueil Demeny", ex�cut� par Rimbaud � l'automne 70, � Douai, constitue pour ce critique un v�ritable projet de recueil.
     Si l'on entend par "recueil" un ensemble compos�, c'est probablement aller trop loin. Mais pour ce qui est de l'envie d'�tre publi�, l�-dessus, le t�moignage d'Izambard est assez clair. D�crivant son ancien �l�ve en train de recopier ses vers pendant les derniers jours pass�s � Douai, il �crit : "� la moindre rature, il recommence, et il exige de larges feuilles de papier �colier. Quand une main est noircie, il vient dire : � Je n'ai plus de papier ï¿½, et, cela, plusieurs fois par jour. On lui remet les quelques sous n�cessaires pour qu'il aille en acheter d'autres. � ï¿½crivez au dos ï¿½ lui sugg�re une des tantes, mais lui, d'un air scandalis� : � Pour l'imprimerie, on n'�crit jamais au dos ï¿½. Vous voyez bien qu'il songe � se faire imprimer." (Georges Izambard, "Lettres retrouv�es d'Arthur Rimbaud", Vers et prose, janvier-f�vrier-mars 1911 / reproduit dans Lefr�re, A.R. Correspondance posthume, p.1039-1049).     
     Nous d�signons ici cet ensemble sous l'appellation Dossier de Douai (1870). On dit souvent Recueil Demeny ou Recueil de Douai. C'est une tradition qui remonte loin : Bouillane de Lacoste, d�j�, en 1939, Mouquet et Rolland de Ren�ville (1946), Hartmann (1957) ne d�signent pas autrement cet ensemble que par les mots "Recueil Demeny". Mais si l'espoir d'�tre publi� ne para�t pas douteux, on n'est pas en mesure d'affirmer que Rimbaud a organis� ce dossier de textes transmis � Demeny comme un "recueil" � proprement parler. Nous nous rendons sur ce point aux arguments d�fendus par David Ducoffre dans son article de 2010 : "La l�gende du Recueil Demeny".
    Nous pr�sentons ci-contre les titres dans l'ordre adopt� par Steve Murphy (SM-IV, p.84-85 et 513-516), c'est � dire celui utilis� par Demeny dans une lettre de 1888 � Rodolphe Darzens (sans qu'il soit d�montr� que cet ordre corresponde � un choix
effectu� par Rimbaud).

Fac-simil�s dans Rimbaud Po�sies, "Les Manuscrits des ma�tres", notice de Paterne Berrichon, Albert
Messein �diteur, 1919. Sections I et II.

Les manuscrits du Dossier Demeny sont actuellement � la British Library. Apr�s �tre pass�s par les mains de Darzens, Genonceaux, Pierre Dauze, ils furent achet�s en 1914 par l'�crivain-collectionneur autrichien Stefan Zweig, dont la collection a �t� l�gu�e � la British Library en 1985 :
Stefan Zweig collection / Zweig MS 181.
Fac-simil� du dossier :
http://www.bl.uk/manuscripts/Viewer.aspx?ref=zweig_ms_181_fs002r























Les Reparties de Nina
V�nus Anadyom�ne
"Morts de Quatre-vingt-douze..."
Premi�re Soir�e
Sensation
Bal des pendus 
Les Effar�s
Roman  
Rages de C�sars  
Le Mal

Oph�lie

Le Ch�timent de Tartufe

� la Musique
Soleil et chair
Le Forgeron

R�v� pour l'hiver
Ma Boh�me
Le Buffet  
L'�clatante Victoire de Sarrebr�ck 
La Maline 
Au Cabaret-Vert, cinq heures du soir
Le Dormeur du val


 

Autographe du dossier Demeny (British Library).

   Il existe deux autographes de ce texte :
   - le premier, intitul� Ce qui retient Nina et dat� du 15 ao�t 1870 (Steve Murphy a �tabli qu'il a �t� envoy� par Rimbaud � Georges Izambard avec sa lettre du 25 ao�t 1870  : "Je vous envoie des vers, lisez cela un matin, au soleil, [...]"). Voir dans ce site :
Archives Georges Izambard / po�mes de 1870.
   - le second, intitul� Les reparties de Nina, non dat�, a �t� recopi� � Douai tr�s probablement en septembre 1870 (ci-contre).
   Nombreuses variantes. Notamment :
- la version Izambard comporte deux strophes suppl�mentaires apr�s les strophes occupant les positions 8 et 24 dans Les Reparties de Nina ; par contre, elle ne contient pas la strophe occupant la position 16 dans le m�me po�me ;
- la chute de la version Izambard est : "Mais le bureau ?" au lieu de "Et mon bureau ?".

 

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Les Reparties de Nina

......................................................

LUI � Ta poitrine sur ma poitrine,
     Hein ? nous irions,
Ayant de l'air plein la narine,
     Aux frais rayons

Du bon matin bleu, qui vous baigne
     Du vin de jour ?.....
Quand tout le bois frissonnant saigne
     Muet d'amour

De chaque branche, gouttes vertes,
     Des bourgeons clairs,
On sent dans les choses ouvertes
     Fr�mir des chairs :

Tu plongerais dans la luzerne
     Ton blanc peignoir,
Rosant � l'air ce bleu qui cerne
     Ton grand �il noir,

Amoureuse de la campagne,
     Semant partout,
Comme une mousse de champagne,
     Ton rire fou :

Riant � moi, brutal d'ivresse,
     Qui te prendrais
Comme cela, � la belle tresse,
     Oh ! � qui boirais

Ton go�t de framboise et de fraise,
     � chair de fleur !
Riant au vent vif qui te baise
     Comme un voleur ;

Au rose �glantier qui t'emb�te
     Aimablement :
Riant surtout, � folle t�te,
     � ton amant !....

.............................................

� Ta poitrine sur ma poitrine
     M�lant nos voix,
Lents, nous gagnerions la ravine,
     Puis les grands bois !....

Puis, comme une petite morte,
     Le c�ur p�m�,
Tu me dirais que je te porte,
     L'�il mi-ferm�....

Je te porterais, palpitante,
     Dans le sentier :
L'oiseau filerait son andante :
     Au Noisetier....

Je te parlerais dans ta bouche :
     J'irais, pressant
Ton corps, comme une enfant qu'on couche,
     Ivre du sang

Qui coule, bleu, sous ta peau blanche
     Aux tons ros�s :
Et te parlant la langue franche....
     Tiens !... � que tu sais...

Nos grands bois sentiraient la s�ve,
     Et le soleil
Sablerait d'or fin leur grand r�ve
     Vert et vermeil

..........................................................

Le soir ?... Nous reprendrons la route
     Blanche qui court
Fl�nant, comme un troupeau qui broute,
     Tout � l'entour

Les bons vergers � l'herbe bleue
     Aux pommiers tors !
Comme on les sent toute une lieue
     Leurs parfums forts !

Nous regagnerons le village
     Au ciel mi-noir ;
Et �a sentira le laitage
     Dans l'air du soir ;

�a sentira l'�table, pleine
     De fumiers chauds,
Pleine d'un lent rythme d'haleine,
     Et de grands dos

Blanchissant sous quelque lumi�re ;
     Et, tout l�-bas,
Une vache fientera, fi�re,
     � chaque pas.....

� Les lunettes de la grand-m�re
     Et son nez long
Dans son missel ; le pot de bi�re
     Cercl� de plomb,

Moussant entre les larges pipes
     Qui, cr�nement,
Fument : les effroyables lippes
     Qui, tout fumant,

Happent le jambon aux fourchettes
     Tant, tant et plus :
Le feu qui claire les couchettes
     Et les bahuts :

Les fesses luisantes et grasses
     D'un gros enfant
Qui fourre, � genoux, dans les tasses,
     Son museau blanc

Fr�l� par un mufle qui gronde
     D'un ton gentil,
Et pourl�che la face ronde
     Du cher petit.....

......................................................

Que de choses verrons-nous, ch�re,
     Dans ces taudis,
Quand la flamme illumine, claire,
     Les carreaux gris !...

� Puis, petite et toute nich�e,
     Dans les lilas
Noirs et frais : la vitre cach�e,
     Qui rit l�-bas....

Tu viendras, tu viendras, je t'aime !
     Ce sera beau.
Tu viendras, n'est-ce pas, et m�me...

ELLE � Et mon bureau ?

Arthur Rimbaud

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Autographe du dossier Demeny (British Library).

   Il existe deux versions de "V�nus Anadyom�ne" :
   - la premi�re, dat�e du 27 juillet 1870, est celle que d�tenait Georges Izambard. Voir dans ce site :
Archives Georges Izambard / po�mes de 1870
   - la seconde, non dat�e mais �videmment ult�rieure, est celle du  dossier Demeny (ci-contre). Variantes aux vers : 4, 7-8. Plus ponctuation.

Dossier p�dagogique  

 

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                     V�nus Anadyom�ne


Comme d'un cercueil vert en fer-blanc, une t�te
De femme � cheveux bruns fortement pommad�s
D'une vieille baignoire �merge, lente et b�te,
Avec des d�ficits assez mal ravaud�s ;

Puis le col gras et gris, les larges omoplates
Qui saillent ; le dos court qui rentre et qui ressort ;
Puis les rondeurs des reins semblent prendre l'essor ;
La graisse sous la peau para�t en feuilles plates :

L'�chine est un peu rouge, et le tout sent un go�t
Horrible �trangement ; on remarque surtout
Des singularit�s qu'il faut voir � la loupe.....

Les reins portent deux mots grav�s : Clara Venus ;
� Et tout ce corps remue et tend sa large croupe
Belle hideusement d'un ulc�re � l'anus.

                                                      A. Rimbaud

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Morts de Quatre-vingt-douze...

Autographe du dossier Demeny (British Library).

La date (et le lieu) indiqu�s par Rimbaud sont contredits par un t�moignage d'Izambard (Rimbaud tel que je l'ai connu, p.63-64). Selon l'ancien professeur de Rimbaud, son �l�ve lui aurait remis une copie du po�me le 18 juillet. Information fort plausible, puisque le po�me r�pond � une harangue patriotique parue le 16 juillet dans un journal bonapartiste, au lendemain de la d�claration de guerre contre la Prusse (15 juillet 1870). La date et surtout le lieu indiqu�s par Rimbaud dans le dossier Demeny doivent donc probablement �tre tenus pour des r�f�rences symboliques, tendant � conf�rer une aura politique � son incarc�ration par la police imp�riale.

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"... Fran�ais de soixante-dix, bonapartistes, r�publicains, 
souvenez-vous de vos p�res en 92, etc
..."
......................................................
Paul de CASSAGNAC.
� Le Pays �      

 

Morts de Quatre-vingt-douze et de Quatre-vingt-treize,
Qui, p�les du baiser fort de la libert�,
Calmes, sous vos sabots, brisiez le joug qui p�se
Sur l'�me et sur le front de toute humanit� ;

Hommes extasi�s et grands dans la tourmente,
Vous dont les c�urs sautaient d'amour sous les haillons,
� Soldats que la Mort a sem�s, noble Amante,
Pour les r�g�n�rer, dans tous les vieux sillons ;

Vous dont le sang lavait toute grandeur salie,
Morts de Valmy, Morts de Fleurus, Morts d'Italie,
� million de Christs aux yeux sombres et doux ;

Nous vous laissions dormir avec la R�publique,
Nous, courb�s sous les rois comme sous une trique :
� Messieurs de Cassagnac nous reparlent de vous !

Arthur Rimbaud
Fait � Mazas, 3 septembre 1870.

 

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Autographe du dossier Demeny (British Library).

   Il existe trois versions de ce po�me (deux manuscrits autographes et une version imprim�e par les soins de Rimbaud) :
   - la premi�re en date a probablement �t� celle d�tenue par Izambard, intitul�e Com�die en trois baisers. Voir dans ce site les
Archives Georges Izambard / po�mes de 1870
   - la seconde, intitul�e "Trois baisers", a �t� publi�e le 13 ao�t 1870 dans le journal satirique La Charge. Voir � ce texte : Trois baisers. Elle pr�sente des variantes nombreuses par rapport � la version Izambard : v. 4, 12, 14, 16, 20, 24, 27, 28, 30, 32. Plus ponctuation.
   - la troisi�me, intitul�e Premi�re soir�e est celle du dossier Demeny (ci-contre). C'est la version de r�f�rence �tant la derni�re en date. Variantes par rapport � La Charge : v.3, 4, 11, 12, 20, 27-28, 31, 32. Plus ponctuation.

    Le lecteur constatera que, comme le dit Steve Murphy, "la variance n'est pas lin�aire" (SM-IV p.84). Les variantes de la troisi�me version reprennent parfois la version Izambard. On pourrait donc �tre tent� de placer la version Izambard en position interm�diaire ... mais dans ce cas il faudrait constater que la version du  dossier Demeny "reprend parfois" la version Banville. Les variantes ne sont donc pas d�cisives pour �tablir la chronologie. Murphy, dont nous adoptons l'arbitrage, s'appuie surtout sur un argument psychologique, estimant que Rimbaud, � cette �poque, �tait enclin � solliciter en premier l'avis de son professeur afin d'apporter d'�ventuelles corrections.

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          Premi�re Soir�e

"� Elle �tait fort d�shabill�e
Et de grands arbres indiscrets
Aux vitres jetaient leur feuill�e
Malinement, tout pr�s, tout pr�s.

Assise sur ma grande chaise,
Mi-nue, elle joignait les mains
Sur le plancher frissonnaient d'aise
Ses petits pieds si fins, si fins.

� Je regardai, couleur de cire
Un petit rayon buissonnier
Papillonner dans son sourire
Et sur son sein, � mouche au rosier.

� Je baisai ses fines chevilles.
Elle eut un doux rire brutal
Qui s'�grenait en claires trilles,
Un joli rire de cristal.

Les petits pieds sous la chemise
Se sauv�rent : "Veux-tu finir !"
� La premi�re audace permise,
Le rire feignait de punir !

� Pauvrets palpitants sous ma l�vre,
Je baisai doucement ses yeux :
� Elle jeta sa t�te mi�vre
En arri�re : "Oh ! c'est encore mieux !...

Monsieur, j'ai deux mots � te dire..."
� Je lui jetai le reste au sein
Dans un baiser, qui la fit rire
D'un bon rire qui voulait bien.....

� Elle �tait fort d�shabill�e
Et de grands arbres indiscrets
Aux vitres jetaient leur feuill�e
Malinement, tout pr�s, tout pr�s.

                                       Arthur Rimbaud

 Sommaire


 

Autographe du dossier Demeny (British Library).

      Il existe deux versions de ce po�me :
     - la premi�re, dat�e du 20 avril 1870, sans titre, figure dans la
lettre � Th�odore de Banville du 24 mai 1870.
     - la seconde, dat�e de mars 70, titr�e Sensation, figure dans le dossier Demeny et pr�sente deux variantes int�ressantes aux vers 1 et 6 (ci-contre).
     La date de mars donn�e par le dossier Demeny indique probablement le moment initial d'�laboration du po�me. Quant aux variantes des vers 1 et 6, leur qualit� laisse � penser qu'il s'agit de corrections ult�rieures aux deux dates mentionn�es (faites probablement au moment du recopiage de Douai, � l'automne 70 ?). 

Commentaire

    

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                         Sensation

Par les soirs bleus d'�t�, j'irai dans les sentiers,
Picot� par les bl�s, fouler l'herbe menue :
R�veur, j'en sentirai la fra�cheur � mes pieds.
Je laisserai le vent baigner ma t�te nue.
 
Je ne parlerai pas, je ne penserai rien :
Mais l'amour infini me montera dans l'�me,
Et j'irai loin, bien loin, comme un boh�mien,
Par la Nature, � heureux comme avec une femme.

                      Mars 1870.            Arthur Rimbaud

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Autographe du dossier Demeny (British Library).

Non dat�.

     Izambard a situ� la r�daction probable de ce po�me en f�vrier ou avril 1870, au moment o� Rimbaud r�dige pour son professeur de lettres l'exercice de parodie intitul� "Charles d'Orl�ans � Louis XI", que publient toutes les �ditions rimbaldiennes. Peut-�tre, mais le po�me para�t bien plus original, bien mieux r�dig�, en tous cas, que les pages en question, tr�s scolaires.

    

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                    Bal des pendus

Au gibet noir, manchot aimable,
Dansent, dansent les paladins,
Les maigres paladins du diable,
Les squelettes de Saladins.

Messire Belz�buth tire par la cravate
Ses petits pantins noirs grima�ant sur le ciel,
Et, leur claquant au front un revers de savate,
Les fait danser, danser aux sons d'un vieux No�l !

Et les pantins choqu�s enlacent leurs bras gr�les :
Comme des orgues noirs, les poitrines � jour
Que serraient autrefois les gentes damoiselles,
Se heurtent longuement dans un hideux amour.

Hurrah ! les gais danseurs, qui n'avez plus de panse !
On peut cabrioler, les tr�teaux sont si longs !
Hop ! qu'on ne sache plus si c'est bataille ou danse !
Belz�buth enrag� racle ses violons !

� durs talons, jamais on n'use sa sandale !
Presque tous ont quitt� la chemise de peau :
Le reste est peu g�nant et se voit sans scandale.
Sur les cr�nes, la neige applique un blanc chapeau :

Le corbeau fait panache � ces t�tes f�l�es,
Un morceau de chair tremble � leur maigre menton :
On dirait, tournoyant dans les sombres m�l�es,
Des preux, raides, heurtant armures de carton.

Hurrah ! la bise siffle au grand bal des squelettes !
Le gibet noir mugit comme un orgue de fer !
Les loups vont r�pondant des for�ts violettes :
� l'horizon, le ciel est d'un rouge d'enfer...

Hol�, secouez-moi ces capitans fun�bres
Qui d�filent, sournois, de leurs gros doigts cass�s
Un chapelet d'amour sur leur p�les vert�bres :
Ce n'est pas un moustier ici, les tr�pass�s !

Oh ! voil� qu'au milieu de la danse macabre
Bondit dans le ciel rouge un grand squelette fou
Emport� par l'�lan, comme un cheval se cabre :
Et, se sentant encor la corde raide au cou,

Crispe ses petits doigts sur son f�mur qui craque
Avec des cris pareils � des ricanements,
Et, comme un baladin rentre dans la baraque,
Rebondit dans le bal au chant des ossements.

Au gibet noir, manchot aimable,
Dansent, dansent les paladins,
Les maigres paladins du diable,
Les squelettes de Saladins.

Arthur Rimbaud                                            

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Autographe du dossier Demeny (British Library).

     Nous reproduisons trois versions diff�rentes des "Effar�s" :

     - la premi�re (ci-contre) est celle du dossier Demeny. Elle est dat�e du 20 septembre 1870.
     - la seconde (autographe elle aussi) a �t� jointe par Rimbaud � une lettre destin�e � Jean Aicard (dont l'enveloppe porte la date du 20 juin 1871). L'ann�e de la date inscrite au bas du po�me est difficilement lisible : 
     Juin 1871 (LF, p.439) ?  Auquel cas Rimbaud aurait indiqu� la date du recopiage (et de la correction) du texte ? 
     Juin 1870 (SM-IV, p.533) ? auquel cas il aurait pu vouloir indiquer le moment approximatif de l'�laboration. 
    Voir ce texte > Lettre � Jean Aicard
du 20 juin 1871    
     - la troisi�me version est une copie de la main de Verlaine dans son recueil de po�mes de Rimbaud confectionn� entre septembre 1871 et f�vrier 1872. Le po�me n'y est pas dat�.
     Voir ce texte : Dossier Verlaine
(1871-d�but 72)

Variantes significatives par rapport � la version du Recueil de Douai : 
     Version Aicard : v. 16-17, 29, 31.
     Copie Verlaine : v. 12, 16-17, 26, 29, 31-32, 35.

Il existe trois autres versions qu'on ne reproduit pas ici :
- Une autre copie de la main de Verlaine, dont Murphy donne le texte dans SM-I (voir p. 262-263, 271-272), mais dont il n'existe pas de fac-simil�. Elle ne pr�sente que quelques variantes mineures de ponctuation par rapport � la copie Verlaine que nous publions.
- Une version imprim�e en janvier 1888 dans The Gentleman's Magazine sous le titre Petits pauvres.
- Enfin, la version des Po�tes maudits.
Voir ces textes dans AG-9 p.85-88.
 

commentaire

       

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               Les Effar�s

Noirs dans la neige et dans la brume,
Au grand soupirail qui s'allume,
     Leurs culs en rond,

� genoux, cinq petits, � mis�re ! �
Regardent le boulanger faire
     Le lourd pain blond...

Ils voient le fort bras blanc qui tourne
La p�te grise, et qui l'enfourne
     Dans un trou clair.

Ils �coutent le bon pain cuire.
Le boulanger au gras sourire
     Chante un vieil air.

Ils sont blottis, pas un ne bouge,
Au souffle du soupirail rouge,
     Chaud comme un sein.

Et quand, pendant que minuit sonne,
Fa�onn�, p�tillant et jaune,
     On sort le pain ;

Quand, sous les poutres enfum�es,
Chantent les cro�tes parfum�es,
     Et les grillons ;

Quand ce trou chaud souffle la vie ;
Ils ont leur �me si ravie
     Sous leurs haillons,

Ils se ressentent si bien vivre,
Les pauvres petits pleins de givre,
     � Qu'ils sont l�, tous,

Collant leurs petits museaux roses
Au grillage, chantant des choses,
     Entre les trous,

Mais bien bas, � comme une pri�re....
Repli�s vers cette lumi�re
     Du ciel rouvert,

� Si fort, qu'ils cr�vent leur culotte,
� Et que leur lange blanc tremblotte
     Au vent d'hiver.....

                                         Arthur Rimbaud

                20 sept. 70

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Autographe du dossier Demeny (British Library).

Dat� du 29 septembre 1870.

       

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                               Roman

                                     I


On n'est pas s�rieux, quand on a dix-sept ans.
� Un beau soir, foin des bocks et de la limonade,
Des caf�s tapageurs aux lustres �clatants !
� On va sous les tilleuls verts de la promenade.

Les tilleuls sentent bon dans les bons soirs de juin !
L'air est parfois si doux, qu'on ferme la paupi�re ;
Le vent charg� de bruits, � la ville n'est pas loin, �
A des parfums de vigne et des parfums de bi�re...

                                     II

� Voil� qu'on aper�oit un tout petit chiffon
D'azur sombre, encadr� d'une petite branche,
Piqu� d'une mauvaise �toile, qui se fond
Avec de doux frissons, petite et toute blanche...

Nuit de juin ! Dix-sept ans ! � On se laisse griser.
La s�ve est du champagne et vous monte � la t�te...
On divague ; on se sent aux l�vres un baiser
Qui palpite l�, comme une petite b�te...

                                      III

Le c�ur fou Robinsonne � travers les romans,
� Lorsque, dans la clart� d'un p�le r�verb�re,
Passe une demoiselle aux petits airs charmants,
Sous l'ombre du faux-col effrayant de son p�re...

Et, comme elle vous trouve immens�ment na�f,
Tout en faisant trotter ses petites bottines,
Elle se tourne, alerte et d'un mouvement vif...
� Sur vos l�vres alors meurent les cavatines...

                                        IV

Vous �tes amoureux. Lou� jusqu'au mois d'ao�t.
Vous �tes amoureux. � Vos sonnets La font rire.
Tous vos amis s'en vont, vous �tes mauvais go�t.
� Puis l'ador�e, un soir, a daign� vous �crire... !

� Ce soir-l�,... � vous rentrez aux caf�s �clatants,
Vous demandez des bocks ou de la limonade...
� On n'est pas s�rieux, quand on a dix-sept ans
Et qu'on a des tilleuls verts sur la promenade.

                          19 sept. 70              Arthur Rimbaud          

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Autographe du dossier Demeny (British Library).

Non dat�. Mais la r�f�rence � la d�faite de Sedan (2 septembre 1870) et � la captivit� de Napol�on III permet de cerner avec pr�cision le moment probable de la r�daction.

 

                         Rages de C�sars

L'Homme p�le, le long des pelouses fleuries,
Chemine, en habit noir, et le cigare aux dents :
L'Homme p�le repense aux fleurs des Tuileries
� Et parfois son �il terne a des regards ardents...

Car l'Empereur est so�l de ses vingt ans d'orgie !
Il s'�tait dit : "Je vais souffler la Libert�
Bien d�licatement, ainsi qu'une bougie !"
La libert� revit ! Il se sent �reint� !

Il est pris. � Oh ! quel nom sur ses l�vres muettes
Tressaille ? Quel regret implacable le mord ?
On ne le saura pas. L'Empereur a l'�il mort.

Il repense peut-�tre au Comp�re en lunettes...
� Et regarde filer de son cigare en feu,
Comme aux soirs de Saint-Cloud, un fin nuage bleu.

                                                    Arthur Rimbaud

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Autographe du dossier Demeny (British Library).

Non dat�.

Steve Murphy : "Le po�me pourrait bien dater d'ao�t 1870, au moment o� s'accumulent les d�faites de la France dans la guerre contre la Prusse. Apr�s le 4 septembre � avant la fin du mois en tout cas � Rimbaud sera en faveur de la guerre, pour la d�fense de la R�publique." (SM-IV, p.519).

Commentaire

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                              Le Mal

Tandis que les crachats rouges de la mitraille
Sifflent tout le jour par l'infini du ciel bleu ;
Qu'�carlates ou verts, pr�s du Roi qui les raille,
Croulent les bataillons en masse dans le feu ;
 
Tandis qu'une folie �pouvantable, broie
Et fait de cent milliers d'hommes un tas fumant ;
� Pauvres morts ! dans l'�t�, dans l'herbe, dans ta joie,
Nature ! � toi qui fis ces hommes saintement !...
 
� Il est un Dieu, qui rit aux nappes damass�es
Des autels, � l'encens, aux grands calices d'or ;
Qui dans le bercement des hosannah s'endort,
 
Et se r�veille, quand des m�res, ramass�es
Dans l'angoisse, et pleurant sous leur vieux bonnet noir
Lui donnent un gros sou li� dans leur mouchoir !

                                                         Arthur Rimbaud

 

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Autographe du dossier Demeny (British Library).

      Il existe trois versions de ce po�me :

     - la premi�re en date, probablement, est la version non dat�e que Rimbaud avait confi�e � Izambard. Voir ce texte : Archives Georges Izambard / po�mes de 1870

     - la seconde est incluse dans la lettre � Th�odore de Banville du 24 mai 1870 et dat�e "29 avril 1870".

     - la troisi�me, celle du dossier Demeny (ci-contre) est dat�e du 15 mai 1870 et pr�sente des variantes significatives aux vers 4, 15, 25, 32. C'est la derni�re version contr�l�e par l'auteur et, � ce titre, celle qui peut servir de version de r�f�rence.

Dossier p�dagogique

       

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                         Oph�lie

                                I

Sur l'onde calme et noire o� dorment les �toiles
La blanche Oph�lia flotte comme un grand lys,
Flotte tr�s lentement, couch�e en ses longs voiles...
� On entend dans les bois lointains des hallalis.

Voici plus de mille ans que la triste Oph�lie
Passe, fant�me blanc, sur le long fleuve noir ;
Voici plus de mille ans que sa douce folie
Murmure sa romance � la brise du soir.

Le vent baise ses seins et d�ploie en corolle
Ses grands voiles berc�s mollement par les eaux ;
Les saules frissonnants pleurent sur son �paule,
Sur son grand front r�veur s'inclinent les roseaux.

Les n�nuphars froiss�s soupirent autour d'elle ;
Elle �veille parfois, dans un aune qui dort,
Quelque nid, d'o� s'�chappe un petit frisson d'aile :
� Un chant myst�rieux tombe des astres d'or.

                                 II

� p�le Oph�lia ! belle comme la neige !
Oui tu mourus, enfant, par un fleuve emport� !
C'est que les vents tombant des grand monts de Norw�ge
T'avaient parl� tout bas de l'�pre libert� ;

C'est qu'un souffle, tordant ta grande chevelure,
� ton esprit r�veur portait d'�tranges bruits ;
Que ton c�ur �coutait le chant de la Nature
Dans les plaintes de l'arbre et les soupirs des nuits ;

C'est que la voix des mers folles, immense r�le,
Brisait ton sein d'enfant, trop humain et trop doux ;
C'est qu'un matin d'avril, un beau cavalier p�le,
Un pauvre fou, s'assit muet � tes genoux !

Ciel ! Amour ! Libert� ! Quel r�ve, � pauvre Folle !
Tu te fondais � lui comme une neige au feu :
Tes grandes visions �tranglaient ta parole
� Et l'Infini terrible effara ton �il bleu !

                          III

� Et le Po�te dit qu'aux rayons des �toiles
Tu viens chercher, la nuit, les fleurs que tu cueillis ;
Et qu'il a vu sur l'eau, couch�e en ses longs voiles,
La blanche Oph�lia flotter, comme un grand lys.

                                                        Arthur Rimbaud

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Autographe du dossier Demeny (British Library).

Non dat�.

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                     Le Ch�timent de Tartufe

Tisonnant, tisonnant son c�ur amoureux sous
Sa chaste robe noire, heureux, la main gant�e,
Un jour qu'il s'en allait, effroyablement doux,
Jaune, bavant la foi de sa bouche �dent�e,

Un jour qu'il s'en allait, "Oremus", � un M�chant
Le prit rudement par son oreille beno�te
Et lui jeta des mots affreux, en arrachant
Sa chaste robe noire autour de sa peau moite !

Ch�timent !... Ses habits �taient d�boutonn�s,
Et le long chapelet des p�ch�s pardonn�s
S'�grenant dans son c�ur, Saint Tartufe �tait p�le !...

Donc, il se confessait, priait, avec un r�le !
L'homme se contenta d'emporter ses rabats...
� Peuh ! Tartufe �tait nu du haut jusques en bas !

                                                         Arthur Rimbaud

 

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Autographe du dossier Demeny (British Library).

   Il existe deux versions d'� la Musique :
   - la premi�re est une version d�tenue par Georges Izambard. Voir ce texte :
Archives Georges Izambard / po�mes de 1870
   - la seconde est celle du dossier Demeny (ci-contre), qui pr�sente de nombreuses variantes int�ressantes (voir notamment les vers : 5, 7, 8, 10, 14, 16, 17, 18, 19, 20, 28, 32, 33).

   Aucun de ces deux autographes n'est dat�. 
   Pour le premier, Izambard a indiqu� le mois de juin 1870, ce qui pourrait �tre confirm� par la d�couverte r�cente d'un document signalant l'ex�cution effective de la Valse des fifres le 2 juin 1870, au kiosque � musique de Charleville. Voir L.F. p.442.
   Pour le second, Steve Murphy conjecture une r�daction sensiblement ult�rieure (septembre ?), en se fondant sur la suppression des allusions antimilitaristes de la premi�re version. L'id�ologie de Rimbaud aurait �volu� avec la proclamation de la R�publique (le 4 septembre 1870) et le si�ge de Paris (19 septembre) : il serait d�sormais partisan de la r�sistance face � l'envahisseur. Voir SM-IV, p.508 et 521.

Commentaire 

 

           

 

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                                � la Musique 

Place de la Gare, � Charleville.

Sur la place taill�e en mesquines pelouses,
Square o� tout est correct, les arbres et les fleurs,
Tous les bourgeois poussifs qu'�tranglent les chaleurs
Portent, les jeudis soirs, leurs b�tises jalouses.

� L'orchestre militaire, au milieu du jardin,
Balance ses schakos dans la Valse des fifres :
� Autour, aux premiers rangs, parade le gandin ;
Le notaire pend � ses breloques � chiffres :

Des rentiers � lorgnons soulignent tous les couacs :
Les gros bureaux bouffis tra�nent leurs grosses dames
Aupr�s desquelles vont, officieux cornacs,
Celles dont les volants ont des airs de r�clames ;

Sur les bancs verts, des clubs d'�piciers retrait�s
Qui tisonnent le sable avec leur canne � pomme,
Fort s�rieusement discutent les trait�s,
Puis prisent en argent, et reprennent : "En somme !.."

�patant sur son banc les rondeurs de ses reins,
Un bourgeois � boutons clairs, bedaine flamande,
Savoure son onnaing d'o� le tabac par brins
D�borde � vous savez, c'est de la contrebande ; �

Le long des gazons verts ricanent les voyous ;
Et, rendus amoureux par le chant des trombones,
Tr�s na�fs, et fumant des roses, les pioupious
Caressent les b�b�s pour enj�ler les bonnes...

� Moi, je suis, d�braill� comme un �tudiant
Sous les marronniers verts les alertes fillettes :
Elles le savent bien ; et tournent en riant,
Vers moi, leurs yeux tout pleins de choses indiscr�tes

Je ne dis pas un mot : je regarde toujours
La chair de leurs cous blancs brod�s de m�ches folles :
Je suis, sous le corsage et les fr�les atours,
Le dos divin apr�s la courbe des �paules

J'ai bient�t d�nich� la bottine, le bas...
� Je reconstruis les corps, br�l� de belles fi�vres.
Elles me trouvent dr�le et se parlent tout bas...
� Et je sens des baisers qui me viennent aux l�vres...

Arthur Rimbaud

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Autographe du dossier Demeny (British Library).

     Il existe deux versions de ce po�me :
     - la premi�re, intitul�e "Credo in unam...", dat�e du 29 avril 1870, est incluse dans la
lettre � Th�odore de Banville du 24 mai 1870.
     - la seconde (ci-contre), intitul�e Soleil et chair, dat�e "mai 70", est celle du dossier Demeny. Elle pr�sente de nombreuses variantes.

     Parmi ces variantes, la suppression de trente-six vers, � la suite de la ligne de pointill�s, dans la partie III. Certaines �ditions restituent � cet endroit les vers correspondants de "Credo in unam...".

     Malgr� la proximit� des deux datations, la logique des variantes (att�nuation des formulations d�istes d�celables dans la version envoy�e � Banville) fait consid�rer Soleil et Chair comme une version sensiblement ult�rieure � "Credo in unam..."

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                            Soleil et chair

                                        I

Le Soleil, le foyer de tendresse et de vie,
Verse l'amour br�lant � la terre ravie,
Et, quand on est couch� sur la vall�e, on sent
Que la terre est nubile et d�borde de sang ;
Que son immense sein, soulev� par une �me,
Est d'amour comme Dieu, de chair comme la femme,
Et qu'il renferme, gros de s�ve et de rayons,
Le grand fourmillement de tous les embryons !

Et tout cro�t, et tout monte !
                                        � � V�nus, � D�esse !
Je regrette les temps de l'antique jeunesse,
Des satyres lascifs, des faunes animaux,
Dieux qui mordaient d'amour l'�corce des rameaux
Et dans les n�nuphars baisaient la Nymphe blonde !
Je regrette les temps o� la s�ve du monde,
L'eau du fleuve, le sang rose des arbres verts
Dans les veines de Pan mettaient un univers !
O� le sol palpitait, vert, sous ses pieds de ch�vre ;
O�, baisant mollement le clair syrinx, sa l�vre
Modulait sous le ciel le grand hymne d'amour ;
O�, debout sur la plaine, il entendait autour
R�pondre � son appel la Nature vivante ;
O� les arbres muets, ber�ant l'oiseau qui chante,
La terre ber�ant l'homme, et tout l'Oc�an bleu
Et tous les animaux aimaient, aimaient en Dieu !

Je regrette les temps de la grande Cyb�le
Qu'on disait parcourir, gigantesquement belle,
Sur un grand char d'airain, les splendides cit�s ;
Son double sein versait dans les immensit�s
Le pur ruissellement de la vie infinie.
L'Homme su�ait, heureux, sa mamelle b�nie,
Comme un petit enfant, jouant sur ses genoux.
� Parce qu'il �tait fort, l'Homme �tait chaste et doux.

Mis�re ! Maintenant il dit : Je sais les choses,
Et va, les yeux ferm�s et les oreille closes :
� Et pourtant, plus de dieux ! plus de dieux ! l'Homme est Roi,
L'Homme est Dieu ! Mais l'Amour, voil� la grande Foi !
Oh ! si l'homme puisait encore � ta mamelle,
Grande m�re des dieux et des hommes, Cyb�le ;
S'il n'avait pas laiss� l'immortelle Astart�
Qui jadis, �mergeant dans l'immense clart�
Des flots bleus, fleur de chair que la vague parfume,
Montra son nombril rose o� vint neiger l'�cume,
Et fit chanter, D�esse aux grands yeux noirs vainqueurs,
Le rossignol aux bois et l'amour dans les c�urs !

                                          II

Je crois en toi ! Je crois en toi ! Divine m�re,
Aphrodit� marine ! � Oh ! la route est am�re
Depuis que l'autre Dieu nous attelle � sa croix ;
Chair, Marbre, Fleur, V�nus, c'est en toi que je crois !
� Oui, l'Homme est triste et laid, triste sous le ciel vaste.
Il a des v�tements, parce qu'il n'est plus chaste,
Parce qu'il a sali son fier buste de dieu,
Et qu'il a rabougri, comme une idole au feu,
Son corps Olympien aux servitudes sales !
Oui, m�me apr�s la mort, dans les squelettes p�les
Il veut vivre, insultant la premi�re beaut� !
� Et l'Idole o� tu mis tant de virginit�,
O� tu divinisas notre argile, la Femme,
Afin que l'Homme p�t �clairer sa pauvre �me
Et monter lentement, dans un immense amour,
De la prison terrestre � la beaut� du jour,
La Femme ne sait plus m�me �tre Courtisane !
� C'est une bonne farce ! et le monde ricane
Au nom doux et sacr� de la grande V�nus !

                                             III

Si les temps revenaient, les temps qui sont venus !
� Car l'Homme a fini ! l'Homme a jou� tous les r�les !
Au grand jour, fatigu� de briser des idoles
Il ressuscitera, libre de tous ses Dieux.
Et, comme il est du ciel, il scrutera les cieux !
L'id�al, la pens�e invincible, �ternelle,
Tout le dieu qui vit, sous son argile charnelle,
Montera, montera, br�lera sous son front !
Et quand tu le verras sonder tout l'horizon,
Contempteur des vieux jougs, libre de toute crainte,
Tu viendras lui donner la R�demption sainte !
� Splendide, radieuse, au sein des grandes mers
Tu surgiras, jetant sur le vaste Univers
L'Amour infini dans un infini sourire !
Le Monde vibrera comme une immense lyre
Dans le fr�missement d'un immense baiser !

� Le Monde a soif d'amour : tu viendras l'apaiser.
...............................................................................

                                                IV

� splendeur de la chair ! � splendeur id�ale !
� renouveau d'amour, aurore triomphale
O�, courbant � leurs pieds les Dieux et les H�ros,
Kallipyge la blanche et le petit �ros
Effleureront, couverts de la neige des roses,
Les femmes et les fleurs sous leurs beaux pieds �closes !
� grande Ariadn�, qui jettes tes sanglots
Sur la rive, en voyant fuir l�-bas sur les flots,
Blanche sous le soleil, la voile de Th�s�e,
� douce vierge enfant qu'une nuit a bris�e,
Tais-toi ! Sur son char d'or brod� de noirs raisins,
Lysios, promen� dans les champs Phrygiens
Par les tigres lascifs et les panth�res rousses,
Le long des fleuves bleus rougit les sombres mousses.
� Zeus, Taureau, sur son cou berce comme une enfant
Le corps nu d'Europ�, qui jette son bras blanc
Au cou nerveux du Dieu frissonnant dans la vague.
Il tourne lentement vers elle son �il vague ;
Elle, laisse tra�ner sa p�le joue en fleur
Au front de Zeus ; ses yeux sont ferm�s ; elle meurt
Dans un divin baiser, et le flot qui murmure
De son �cume d'or fleurit sa chevelure.
� Entre le laurier-rose et le lotus jaseur
Glisse amoureusement le grand Cygne r�veur
Embrassant la L�da des blancheurs de son aile ;
� Et tandis que Cypris passe, �trangement belle,
Et, cambrant les rondeurs splendides de ses reins,
�tale fi�rement l'or de ses larges seins
Et son ventre neigeux brod� de mousse noire,
� H�racl�s, le Dompteur, qui, comme d'une gloire
Fort, ceint son vaste corps de la peau du lion,
S'avance, front terrible et doux, � l'horizon !

Par la lune d'�t� vaguement �clair�e,
Debout, nue, et r�vant dans sa p�leur dor�e
Que tache le flot lourd de ses longs cheveux bleus,
Dans la clairi�re sombre, o� la mousse s'�toile,
La Dryade regarde au ciel silencieux...
� La blanche S�l�n� laisse flotter son voile,
Craintive, sur les pieds du bel Endymion,
Et lui jette un baiser dans un p�le rayon...
� La Source pleure au loin dans une longue extase...
C'est la Nymphe qui r�ve, un coude sur son vase,
Au beau jeune homme blanc que son onde a press�.
� Une brise d'amour dans la nuit a pass�,
Et, dans les bois sacr�s, dans l'horreur des grands arbres,
Majestueusement debout, les sombres Marbres,
Les Dieux, au front desquels le Bouvreuil fait son nid,
� Les Dieux �coutent l'Homme et le Monde infini !

Arthur Rimbaud
           mai 70.

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Autographe du dossier Demeny (British Library).

     Il existe deux versions de ce po�me :
     - la premi�re (non dat�e, mais n�cessairement ant�rieure � celle du  dossier Demeny) �tait d�tenue par Georges Izambard. Voir dans ce site :
Archives Georges Izambard / po�mes de 1870
     - La seconde, qui n'est pas dat�e non plus, est celle du dossier Demeny (ci-contre).

 Principales variantes :
     - le sous-titre (changement de date).
     - la longueur : le manuscrit Izambard s'arr�te au vers 156, sans qu'on en sache la raison. Steve Murphy pense qu'Izambard a tout simplement perdu la fin du texte (SM-IV, p.522).
     - les vers : 2, 14, 16, 25, 33, 35, 43, 53-56, 69, 71, 79, 81, 83, 87, 90, 91, 94, 95-96, 98, 108, 128, 130, 139-140, 142-144, 152, 153.

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                                        Le Forgeron










 



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                              Palais des Tuileries, vers le 10 ao�t 92.

Le bras sur un marteau gigantesque, effrayant
D'ivresse et de grandeur, le front vaste, riant
Comme un clairon d'airain, avec toute sa bouche,
Et prenant ce gros-l� dans son regard farouche,
Le Forgeron parlait � Louis Seize, un jour
Que le Peuple �tait l�, se tordant tout autour,
Et sur les lambris d'or tra�nant sa veste sale.
Or le bon roi, debout sur son ventre, �tait p�le
P�le comme un vaincu qu'on prend pour le gibet,
Et, soumis comme un chien, jamais ne regimbait
Car ce maraud de forge aux �normes �paules
Lui disait de vieux mots et des choses si dr�les,
Que cela l'empoignait au front, comme cela !

"Or, tu sais bien, Monsieur, nous chantions tra la la
Et nous piquions les b�ufs vers les sillons des autres :
Le Chanoine au soleil filait des paten�tres
Sur des chapelets clairs gren�s de pi�ces d'or
Le Seigneur, � cheval, passait, sonnant du cor
Et l'un avec la hart, l'autre avec la cravache
Nous fouaillaient � H�b�t�s comme des yeux de vache,
Nos yeux ne pleuraient plus ; nous allions, nous allions,
Et quand nous avions mis le pays en sillons,
Quand nous avions laiss� dans cette terre noire
Un peu de notre chair... nous avions un pourboire
On nous faisait flamber nos taudis dans la nuit
Nos petits y faisaient un g�teau fort bien cuit

..."Oh ! je ne me plains pas. Je te dis mes b�tises,
C'est entre nous. J'admets que tu me contredises.
Or, n'est-ce pas joyeux de voir, au mois de juin
Dans les granges entrer des voitures de foin
�normes ? De sentir l'odeur de ce qui pousse,
Des vergers quand il pleut un peu, de l'herbe rousse ?
De voir des bl�s, des bl�s, des �pis pleins de grain,
De penser que cela pr�pare bien du pain ?...
Oh ! plus fort, on irait, au fourneau qui s'allume,
Chanter joyeusement en martelant l'enclume,
Si l'on �tait certain de pouvoir prendre un peu,
�tant homme, � la fin ! de ce que donne Dieu !
� Mais voil�, c'est toujours la m�me vieille histoire !

"Mais je sais, maintenant ! Moi, je ne peux plus croire,
Quand j'ai deux bonnes mains, mon front et mon marteau,
Qu'un homme vienne l�, dague sur le manteau,
Et me dise : Mon gars, ensemence ma terre ;
Que l'on arrive encor, quand ce serait la guerre,
Me prendre mon gar�on comme cela, chez moi !
� Moi, je serais un homme, et toi, tu serais roi,
Tu me dirais : Je veux !... � Tu vois bien, c'est stupide.
Tu crois que j'aime voir ta baraque splendide,
Tes officiers dor�s, tes mille chenapans,
Tes palsembleu b�tards tournant comme des paons :
Ils ont rempli ton nid de l'odeur de nos filles
Et de petits billets pour nous mettre aux Bastilles,
Et nous dirons : C'est bien : les pauvres � genoux !
Nous dorerons ton Louvre en donnant nos gros sous !
Et tu te so�leras, tu feras belle f�te.
� Et ces Messieurs riront, les reins sur notre t�te !

"Non. Ces salet�s-l� datent de nos papas !
Oh ! Le Peuple n'est plus une putain. Trois pas
Et, tous, nous avons mis ta Bastille en poussi�re
Cette b�te suait du sang � chaque pierre
Et c'�tait d�go�tant, la Bastille debout
Avec ses murs l�preux qui nous racontaient tout
Et, toujours, nous tenaient enferm�s dans leur ombre !
� Citoyen ! citoyen ! c'�tait le pass� sombre
Qui croulait, qui r�lait, quand nous pr�mes la tour !
Nous avions quelque chose au c�ur comme l'amour.
Nous avions embrass� nos fils sur nos poitrines.
Et, comme des chevaux, en soufflant des narines
Nous allions, fiers et forts, et �a nous battait l�....
Nous marchions au soleil, front haut, � comme cela �,
Dans Paris ! On venait devant nos vestes sales.
Enfin ! Nous nous sentions Hommes ! Nous �tions p�les,
Sire, nous �tions so�ls de terribles espoirs :
Et quand nous f�mes l�, devant les donjons noirs,
Agitant nos clairons et nos feuilles de ch�ne,
Les piques � la main ; nous n'e�mes pas de haine,
� Nous nous sentions si forts, nous voulions �tre doux !
..............................................................................
..............................................................................

"Et depuis ce jour-l�, nous sommes comme fous !
Le tas des ouvriers a mont� dans la rue,
Et ces maudits s'en vont, foule toujours accrue
De sombres revenants, aux portes des richards.
Moi, je cours avec eux assommer les mouchards :
Et je vais dans Paris, noir, marteau sur l'�paule,
Farouche, � chaque coin balayant quelque dr�le,
Et, si tu me riais au nez, je te tuerais !
� Puis, tu peux y compter, tu te feras des frais
Avec tes hommes noirs, qui prennent nos requ�tes
Pour se les renvoyer comme sur des raquettes
Et, tout bas, les malins ! se disent : " Qu'ils sont sots ! "
Pour mitonner des lois, coller de petits pots
Pleins de jolis d�crets roses et de droguailles,
S'amuser � couper proprement quelques tailles,
Puis se boucher le nez quand nous marchons pr�s d'eux,
� Nos doux repr�sentants qui nous trouvent crasseux ! �
Pour ne rien redouter, rien, que les ba�onnettes...,
C'est tr�s bien. Foin de leur tabati�re � sornettes !
Nous en avons assez, l�, de ces cerveaux plats
Et de ces ventres-dieux. Ah ! ce sont l� les plats
Que tu nous sers, bourgeois, quand nous sommes f�roces,
Quand nous brisons d�j� les sceptres et les crosses !.."
..............................................................................
Il le prend par le bras, arrache le velours
Des rideaux, et lui montre en bas les larges cours
O� fourmille, o� fourmille, o� se l�ve la foule,
La foule �pouvantable avec des bruits de houle,
Hurlant comme une chienne, hurlant comme une mer,
Avec ses b�tons forts et ses piques de fer,
Ses tambours, ses grands cris de halles et de bouges,
Tas sombre de haillons saignant de bonnets rouges :
L'Homme, par la fen�tre ouverte, montre tout
Au roi p�le et suant qui chancelle debout,
Malade � regarder cela !
                                  "C'est la Crapule,
Sire. �a bave aux murs, �a monte, �a pullule :
� Puisqu'ils ne mangent pas, Sire, ce sont des gueux !
Je suis un forgeron : ma femme est avec eux,
Folle ! Elle croit trouver du pain aux Tuileries !
� On ne veut pas de nous dans les boulangeries.
J'ai trois petits. Je suis crapule. � Je connais
Des vieilles qui s'en vont pleurant sous leurs bonnets
Parce qu'on leur a pris leur gar�on ou leur fille :
C'est la crapule. � Un homme �tait � la Bastille,
Un autre �tait for�at : et tous deux, citoyens
Honn�tes. Lib�r�s, ils sont comme des chiens :
On les insulte ! Alors, ils ont l� quelque chose
Qui leur fait mal, allez ! C'est terrible, et c'est cause
Que se sentant bris�s, que, se sentant damn�s,
Ils sont l�, maintenant, hurlant sous votre nez !
Crapule. � L�-dedans sont des filles, inf�mes
Parce que, � vous saviez que c'est faible, les femmes �
Messeigneurs de la cour, � que �a veut toujours bien, �
Vous leur avez crach� sur l'�me, comme rien !
Vos belles, aujourd'hui, sont l�. C'est la crapule.
...............................................................................
"Oh ! tous les Malheureux, tous ceux dont le dos br�le
Sous le soleil f�roce, et qui vont, et qui vont,
Qui dans ce travail-l� sentent crever leur front...
Chapeau bas, mes bourgeois ! Oh ! ceux-l�, sont les Hommes !
Nous sommes Ouvriers, Sire ! Ouvriers ! Nous sommes
Pour les grands temps nouveaux o� l'on voudra savoir,
O� l'Homme forgera du matin jusqu'au soir,
Chasseur des grands effets, chasseur des grandes causes,
O�, lentement vainqueur, il domptera les choses
Et montera sur Tout, comme sur un cheval !
Oh ! splendides lueurs des forges ! Plus de mal,
Plus ! � Ce qu'on ne sait pas, c'est peut-�tre terrible :
Nous saurons ! � Nos marteaux en main, passons au crible
Tout ce que nous savons : puis, Fr�res, en avant !
Nous faisons quelquefois ce grand r�ve �mouvant
De vivre simplement, ardemment, sans rien dire
De mauvais, travaillant sous l'auguste sourire
D'une femme qu'on aime avec un noble amour :
Et l'on travaillerait fi�rement tout le jour,
�coutant le devoir comme un clairon qui sonne :
Et l'on se sentirait tr�s heureux : et personne,
Oh ! personne, surtout, ne vous ferait ployer !
On aurait un fusil au-dessus du foyer.....
...............................................................................
"Oh ! mais l'air est tout plein d'une odeur de bataille !
Que te disais-je donc ? Je suis de la canaille ! 
Il reste des mouchards et des accapareurs.
Nous sommes libres, nous ! Nous avons des terreurs
O� nous nous sentons grands, oh ! si grands ! Tout � l'heure
Je parlais de devoir calme, d'une demeure....
Regarde donc le ciel ! � C'est trop petit pour nous,
Nous cr�verions de chaud, nous serions � genoux !
Regarde donc le ciel ! � Je rentre dans la foule,
Dans la grande canaille effroyable, qui roule,
Sire, tes vieux canons sur les sales pav�s :
� Oh ! quand nous serons morts, nous les aurons lav�s 
� Et si, devant nos cris, devant notre vengeance,
Les pattes des vieux rois mordor�s, sur la France
Poussent leurs r�giments en habits de gala,
Eh bien, n'est-ce pas, vous tous ? Merde � ces chiens-l� !"
................................................................................
� Il reprit son marteau sur l'�paule.
                                                 La foule
Pr�s de cet homme-l� se sentait l'�me so�le,
Et, dans la grande cour, dans les appartements,
O� Paris haletait avec des hurlements,
Un frisson secoua l'immense populace.
Alors, de sa main large et superbe de crasse,
Bien que le roi ventru su�t, le Forgeron,
Terrible, lui jeta le bonnet rouge au front !

                                                                   Arthur Rimbaud

 

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Autographe du dossier Demeny (British Library).

Dat� du 7 octobre 1870.

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                         R�v� pour l'hiver

� *** Elle,

L'hiver, nous irons dans un petit wagon rose
          Avec des coussins bleus.
Nous serons bien. Un nid de baisers fous repose
          Dans chaque coin moelleux.

Tu fermeras l'�il, pour ne point voir, par la glace,
          Grimacer les ombres des soirs,
Ces monstruosit�s hargneuses, populace
          De d�mons noirs et de loups noirs.

Puis tu te sentiras la joue �gratign�e...
Un petit baiser, comme une folle araign�e,
          Te courra par le cou...

Et tu me diras : "Cherche !" en inclinant la t�te,
� Et nous prendrons du temps � trouver cette b�te
          � Qui voyage beaucoup...

Arthur Rimbaud

En wagon, le 7 octobre 1870.

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Autographe du dossier Demeny (British Library).

Non dat�. Le th�me du vagabondage incite cependant � placer ce po�me dans la s�rie des sonnets dat�s d'octobre 70 (les sept derniers po�mes du dossier Demeny). On a parfois parl� de "cycle belge". Rimbaud, en effet, quitte Charleville le 2 octobre et voyage quelque temps en Belgique avant de regagner Douai vers le 11 du m�me mois.

Dans le manuscrit, l'accent mis sur "Boh�me" reste difficile � identifier. PB et LF optent pour le circonflexe.

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                        Ma Boh�me 

                         (Fantaisie) 

Je m'en allais, les poings dans mes poches crev�es ;
Mon paletot aussi devenait id�al :
J'allais sous le ciel, Muse ! et j'�tais ton f�al ;
Oh ! l� ! l� ! que d'amours splendides j'ai r�v�es !

Mon unique culotte avait un large trou.
� Petit-Poucet r�veur, j'�grenais dans ma course
Des rimes. Mon auberge �tait � la Grande-Ourse.
� Mes �toiles au ciel avaient un doux frou-frou.

Et je les �coutais, assis au bord des routes,
Ces bons soirs de septembre o� je sentais des gouttes
De ros�e � mon front, comme un vin de vigueur ;

O�, rimant au milieu des ombres fantastiques,
Comme des lyres, je tirais les �lastiques
De mes souliers bless�s, un pied pr�s de mon c�ur !

                                                    Arthur Rimbaud

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Autographe du dossier Demeny (British Library).

Dat� d'octobre 70.
 

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                              Le Buffet

C'est un large buffet sculpt� ; le ch�ne sombre,
Tr�s vieux, a pris cet air si bon des vieilles gens ;
Le buffet est ouvert, et verse dans son ombre
Comme un flot de vin vieux, des parfums engageants ;

Tout plein, c'est un fouillis de vieilles vieilleries,
De linges odorants et jaunes, de chiffons
De femmes ou d'enfants, de dentelles fl�tries,
De fichus de grand-m�re o� sont peints des griffons ;

� C'est l� qu'on trouverait les m�daillons, les m�ches
De cheveux blancs ou blonds, les portraits, les fleurs s�ches
Dont le parfum se m�le � des parfums de fruits.

� � buffet du vieux temps, tu sais bien des histoires,
Et tu voudrais conter tes contes, et tu bruis
Quand s'ouvrent lentement tes grandes portes noires.

                                                       Arthur Rimbaud

                  octobre 70

 

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Autographe du dossier Demeny (British Library).

Dat� d'octobre 70.

La pr�sentation typographique des titres compos�s de plusieurs �l�ments (voir "� la Musique", "Au Cabaret-Vert", "Ma Boh�me") pose toujours un probl�me d�licat aux �diteurs du dossier Demeny, ce qui explique les solutions divergentes : titre unique ; titre + sous-titre ...

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                 L'�clatante Victoire de Sarrebr�ck,
             � remport�e aux cris de Vive l'Empereur !

Gravure belge brillamment colori�e, se vend � Charleroi, 35 centimes.

Au milieu, l'Empereur, dans une apoth�ose
Bleue et jaune, s'en va, raide, sur son dada
Flamboyant ; tr�s heureux, � car il voit tout en rose,
F�roce comme Zeus et doux comme un papa ;

En bas, les bons Pioupious qui faisaient la sieste
Pr�s des tambours dor�s et des rouges canons
Se l�vent gentiment. Pitou remet sa veste,
Et, tourn� vers le Chef, s'�tourdit de grands noms !

A droite, Dumanet, appuy� sur la crosse
De son chassepot, sent fr�mir sa nuque en brosse,
Et : "Vive l'Empereur !!" � Son voisin reste coi...

Un schako surgit, comme un soleil noir... � Au centre,
Boquillon rouge et bleu, tr�s na�f, sur son ventre
Se dresse, et, � pr�sentant ses derri�res � : " De quoi ?..."

                                                             Arthur Rimbaud

                  octobre 70

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Autographe du dossier Demeny (British Library).

Dat� : "Charleroi, octobre 70".

1. Sans "s", pour la rime.

 

   

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                         La Maline

Dans la salle � manger brune, que parfumait
Une odeur de vernis et de fruits, � mon aise
Je ramassais un plat de je ne sais quel met1
Belge, et je m'�patais dans mon immense chaise.

En mangeant, j'�coutais l'horloge, � heureux et coi.
La cuisine s'ouvrit avec une bouff�e,
� Et la servante vint, je ne sais pas pourquoi,
Fichu moiti� d�fait, malinement coiff�e

Et, tout en promenant son petit doigt tremblant
Sur sa joue, un velours de p�che rose et blanc,
En faisant, de sa l�vre enfantine, une moue,

Elle arrangeait les plats, pr�s de moi, pour m'aiser ;
� Puis, comme �a, � bien s�r, pour avoir un baiser, �
Tout bas : "Sens donc, j'ai pris une froid sur la joue..."

                                                    Arthur Rimbaud

           Charleroi, octobre 70

 

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Autographe du dossier Demeny (British Library).

Dat� d'octobre 70.

La graphie du manuscrit ne permet pas de distinguer nettement la premi�re partie du titre (Au Cabaret-Vert) et le compl�ment de temps qui l'accompagne (cinq heures du soir). Parmi les �diteurs r�cents, PB opte pour rassembler les deux circonstants en un titre unique, la plupart des autres pr�sentent le second en sous-titre.

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                    Au Cabaret-Vert

cinq heures du soir

Depuis huit jours, j'avais d�chir� mes bottines
Aux cailloux des chemins. J'entrais � Charleroi.
� Au Cabaret-Vert : je demandai des tartines
De beurre et du jambon qui f�t � moiti� froid.

Bienheureux, j'allongeai les jambes sous la table
Verte : je contemplai les sujets tr�s na�fs
De la tapisserie. � Et ce fut adorable,
Quand la fille aux t�tons �normes, aux yeux vifs,

� Celle-l�, ce n'est pas un baiser qui l'�peure ! �
Rieuse, m'apporta des tartines de beurre,
Du jambon ti�de, dans un plat colori�,

Du jambon rose et blanc parfum� d'une gousse
D'ail, � et m'emplit la chope immense, avec sa mousse
Que dorait un rayon de soleil arri�r�.

                                                      Arthur Rimbaud

         Octobre 70

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Autographe du dossier Demeny (British Library).

Dat� d'octobre 1870.

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                    Le Dormeur du val

C'est un trou de verdure o� chante une rivi�re
Accrochant follement aux herbes des haillons
D'argent ; o� le soleil, de la montagne fi�re,
Luit : c'est un petit val qui mousse de rayons.

Un soldat jeune, bouche ouverte, t�te nue,
Et la nuque baignant dans le frais cresson bleu,
Dort ; il est �tendu dans l'herbe, sous la nue,
P�le dans son lit vert o� la lumi�re pleut.

Les pieds dans les gla�euls, il dort. Souriant comme
Sourirait un enfant malade, il fait un somme :
Nature, berce-le chaudement : il a froid.

Les parfums ne font pas frissonner sa narine ;
Il dort dans le soleil, la main sur sa poitrine
Tranquille. Il a deux trous rouges au c�t� droit.

                                                    Arthur Rimbaud

       Octobre 1870

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