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ARCHIVES FORAIN / DOSSIER VERLAINE (1871-d�but 1872)


    Le dessinateur Louis Forain, alors �g� d'une vingtaine d'ann�es, a �t� l'un des proches de Rimbaud � Paris. Il l'a portraitur� (assez m�chamment) � plusieurs reprises (cf. notre iconographie). Il a cohabit� plusieurs mois avec lui au d�but de l'ann�e 1872. Il l'a aid� dans son d�m�nagement quand il rejoignit Charleville au printemps de cette ann�e-l� sur ordre de Verlaine. Enfin, lors de son d�part pour Londres (via Bruxelles) en compagnie de Verlaine, le 7 juillet 1872, c'est � lui que Rimbaud "remit" (c'est le mot employ� par Forain dans une lettre du 9 novembre 1923, cf. SM-I p.358-359) trois groupes de manuscrits  : le "dossier Verlaine" dont il est question ici, Les D�serts de l'amour, et les quatre po�mes du cycle de la soif. Forain, � son tour, fut amen� � confier ces archives � son ami Bertrand Millanvoye qui "oublia" de les lui rendre et finit par les vendre au collectionneur Louis Barthou en 1911. L'ensemble a abouti � la BNF en 1985, gr�ce � un legs : cote NAF 1894-1895.
    Entre septembre 1871 (arriv�e de Rimbaud � Paris) et f�vrier 1872 environ (date indiqu�e par Verlaine sur le manuscrit des Mains de Jeanne-Marie, cf. SM-IV, 56), Verlaine constitua un dossier pagin� de po�mes de Rimbaud, la plupart copi�s de sa main (seules exceptions : L'homme juste et Les Mains de Jeanne-Marie qui sont des autographes).
    Ce dossier �tait constitu� de la fa�on suivante :

p. 1-2 Les Assis
p. 3 Les Chercheuses de poux
p. 4-7 L'Homme juste
p. 7 T�te de faune
p. 8 Le C�ur vol�
p. 9-10 Les Mains de Jeanne-Marie
p. 11-12 Les Effar�s
p. 13-14 Les Veilleurs
p. 15 Les Voyelles
p. 15 "L'�toile a pleur� rose..."
p. 16 Les Douaniers
p. 16 Oraison du soir
p. 17-18 Les S�urs de charit�
p. 19-24 Les Premi�res Communions

Malheureusement, sans qu'on en connaisse la date ni les circonstances, le manuscrit des Chercheuses de poux et la premi�re page de L'homme juste (qui devaient occuper le feuillet 3-4) ont disparu du dossier ainsi que Les Veilleurs (feuillet 13-14). Les Veilleurs, c�l�br� par Verlaine comme un des plus beaux po�mes de Rimbaud, nous reste inconnu. Quant aux Chercheuses de poux, on les �dite � partir des Po�tes maudits.
   La r�flexion de la critique sur ce dossier a �t� aiguis�e par la d�couverte, en 1975, d'un document

de la main de Verlaine o� celui-ci dresse c�te � c�te une liste des textes envisag�s pour son projet de recueil Les Vaincus et celle des po�mes de Rimbaud dont il s'agit ici. Les titres des po�mes sont accompagn�s du nombre de vers qui leur correspond. Une partie de la critique a tir� de ce document la conviction que les deux amis avaient envisag�, � un moment donn�, la publication simultan�e de deux recueils d'inspiration voisine, "communarde". Steve Murphy, dans son tome IV de l'�dition Champion, d�signe l'ensemble rimbaldien sous le terme de "Recueil Verlaine". Plus prudent, Andr� Guyaux, dans sa r�cente Pl�iade (p.XXIV-XXV), admet tout de m�me que ce sommaire a �t� �tabli � comme pour une publication � (mais il semble n�y voir qu�une initiative personnelle de Verlaine destin�e � assurer la survie de textes dont Rimbaud se serait d�sint�ress�). David Ducoffre r�cuse tout � fait l'id�e d'un recueil en voie de constitution. Il s'appuie notamment sur la pr�sence, dans la partie inf�rieure de la page, d'une liste de six titres (Le bateau extravagant, Les Pauvres � l'�glise, Accroupissements, La France, Les anciens partis, Paris se repeuple) sans indication chiffr�e, concernant des po�mes qu'on n'a pas retrouv�s dans le dossier transmis par Forain (et dont, pour certains, nous n'avons conserv� aucune trace). Il en conclut que Verlaine (probablement en l'absence de Rimbaud) recopiait et recensait des po�mes de ce dernier au fur et � mesure qu'il parvenait � se les procurer. On ne saurait donc voir dans l'ordre selon lequel sont class�s les po�mes dans cette page (ordre qui n'est d'ailleurs pas tout � fait identique � celui qui est le leur dans le dossier pagin�) l'indice d'un souci de composition (Ducoffre, "Dossier Forain ou Recueil Verlaine ?" blog Rimbaud ivre, 22 octobre 2011).
   
Le terme de "dossier" ("Dossier Verlaine") que nous utilisons pour notre compte pr�sente l'avantage de rester � mi-chemin entre la simple notion d'"archives" et celle de "recueil" qui suppose un projet de publication plus avanc� et plus construit que celui que nous observons ici. Voir � ce sujet notre "avertissement".
    La section III du volume de fac-simil�s rimbaldiens �dit� par Berrichon chez Messein en 1919 est consacr�e aux manuscrits de ce dossier. 
    La saga des archives Forain a �t� racont�e par Georges Maurevert (l'homme qui a r�v�l� leur existence � la post�rit�) dans un article du Mercure de France ("� propos de Poison perdu", 15 f�vrier 1924).
    La red�couverte du "Dossier Verlaine" lors de la Vente Barthou de 1935 et la r�v�lation de la nature allographe de la plupart des manuscrits par les experts de cette vente sont �voqu�s dans un article de Roger Pierrot, biblioth�caire � la BNF : "Verlaine copiste de Rimbaud" (RHLF, mars-avril 1987, sp�cial "Illuminations").















Les Assis
[Les Chercheuses de poux]
L'Homme juste [incomplet]
T�te de Faune
Le C�ur vol�
Les Mains de Jeanne-Marie
Les Effar�s
[Les Veilleurs]
Les Voyelles
"L'�toile a pleur� rose ..."
Les Douaniers
Oraison du soir
Les S�urs de charit�
Les Premi�res Communions

 

 


 
Copie de la main de Verlaine. Dossier Verlaine 1871/d�but 1872. BNF.

Non dat�. Les �diteurs s'accordent sur l'hypoth�se d'une r�daction pendant "l'hiver 1870-1871" (L.F. 453) ; "� la fin de l'ann�e 70 et au d�but de l'ann�e 71" (P.B. 805). Le po�me aurait comme origine les visites nombreuses rendues par Rimbaud, dans cette p�riode-l�, � la biblioth�que de Charleville. En tout cas, le mat�riau lexical du texte le rattache bien � ce que d'aucuns ont appel� "l'ann�e des dictionnaires".

Il arrive que les �diteurs restituent, en fin de vers, des signes de ponctuation manquants. Ils n'existent pas sur le manuscrit alors qu'ils para�traient n�cessaires. Nous ne prenons pas ce risque. Nous respectons sur ce point le manuscrit. 

D'apr�s SM-I, p.521, les orthographes "emmaillott�e" (v.15) et "giffler" (v.22) �taient courantes � l'�poque.

Variantes des Po�tes maudits

Les Po�tes maudits (Lut�ce, n�89, 12-19 oct. 1883, Vanier 1884, Vanier 1888) donne pour ce po�me un texte pr�sentant quelques variantes :

v.10 : leur peau > leurs peaux
v.12 : du crapaud > des crapauds
v.33 : les poings noy�s > les poings crisp�s
v.38 : leur bras > leurs bras
v.39 : chaises en lisi�re > chaises en lisi�res
v.41 : pollens en virgule > pollens en virgules

Ces variantes semblent surtout viser la "normalisation" de certaines rimes.
Nombreuses variantes de ponctuation que nous ne d�taillons pas ici.

     

Pour acc�der � de nombreuses autres versions des Assis par L�o Ferr�, voir notre page �couter Rimbaud en ligne

                                   Les Assis

Noirs de loupes, gr�l�s, les yeux cercl�s de bagues
Vertes, leurs doigts boulus crisp�s � leurs f�murs
Le sinciput plaqu� de hargnosit�s vagues
Comme les floraisons l�preuses des vieux murs ;

Ils ont greff� dans des amours �pileptiques
Leurs fantasque ossature aux grands squelettes noirs
De leurs chaises ; leurs pieds aux barreaux rachitiques
S'entrelacent pour les matins et pour les soirs !

Ces vieillards ont toujours fait tresse avec leurs si�ges,
Sentant les soleils vifs percaliser leur peau,
Ou, les yeux � la vitre o� se fanent les neiges,
Tremblant du tremblement douloureux du crapaud.

Et les Si�ges leur ont des bont�s : culott�e
De brun, la paille c�de aux angles de leurs reins ;
L'�me des vieux soleils s'allume, emmaillott�e
Dans ces tresses d'�pis o� fermentaient les grains.

Et les Assis, genoux aux dents, verts pianistes
Les dix doigts sous leur si�ge aux rumeurs de tambour
S'�coutent clapoter des barcarolles tristes,
Et leurs caboches vont dans des roulis d'amour.

Oh ! ne les faites pas lever ! C'est le naufrage....
Ils surgissent, grondant comme des chats giffl�s,
Ouvrant lentement leurs omoplates, � rage !
Tout leur pantalon bouffe � leurs reins boursoufl�s

Et vous les �coutez, cognant leurs t�tes chauves
Aux murs sombres, plaquant et plaquant leurs pieds tors,
Et leurs boutons d'habit sont des prunelles fauves
Qui vous accrochent l'�il du fond des corridors !

Puis ils ont une main invisible qui tue :
Au retour, leur regard filtre ce venin noir
Qui charge l'�il souffrant de la chienne battue
Et vous suez pris dans un atroce entonnoir.

Rassis, les poings noy�s dans des manchettes sales,
Ils songent � ceux-l� qui les ont fait lever
Et, de l'aurore au soir, des grappes d'amygdales
Sous leurs mentons ch�tifs s'agitent � crever

Quand l'aust�re sommeil a baiss� leurs visi�res
Ils r�vent sur leur bras de si�ges f�cond�s,
De vrais petits amours de chaises en lisi�re
Par lesquelles de fiers bureaux seront bord�s ;

Des fleurs d'encre crachant des pollens en virgule
Les bercent, le long des calices accroupis
Tels qu'au fil des gla�euls le vol des libellules
Et leur membre s'agace � des barbes d'�pis.

 

Sommaire


 
Texte des Po�tes maudits, 1888.

Pas de manuscrit connu. Le feuillet 3-4 du dossier Verlaine qui contenait probablement ce texte (recto) et le d�but de L'Homme juste (verso) a �t� perdu. Les �diteurs reprennent le texte publi� par Verlaine dans Les Po�tes maudits en 1888 (ci-contre). Fac-simil� chez Gallica.

"Il y eut plusieurs manuscrits de ce po�me. L'un aurait �t� donn� � Germain Nouveau, qui l'aurait remis � Verlaine avec Les Illuminations, et qui arriva donc chez Vanier. Mathilde Verlaine en aurait trouv� un dans les papiers de son mari et l'aurait d�truit. Un autre, retrouv� par Isabelle Rimbaud, qui l'aurait donn� � Louis Pierquin. Aucun n'est connu � ce jour." CJ-12 p.566.

La date de composition n'est pas connue : Izambard assure que le po�me a �t� �crit en 1870 mais les �diteurs contemporains pr�f�rent unanimement le situer en 1871, en s'appuyant sur des consid�rations stylistiques (notamment, la pr�sence de la rime irr�guli�re singulier / pluriel : "Paresse / caresses").

Dans son roman � cl� sur la boh�me artiste de Paris, Dinah Samuel, 1882, F�licien Champsaur attribue � un po�te d'avant-garde nomm� Arthur Cimber deux strophes des Chercheuses de poux. Principale variante :

Il �coute chanter leurs haleines craintives
Qui fleurent de longs miels v�g�taux et ros�s,

 
Texte et analyse de ce texte : SM-I, p.549 et 551-554. Fac-simil� de la page (250) dans l'�dition de 1889 chez Gallica (le nom de Cimber a �t� remplac� par celui de Rimbaud).

Commentaire

     

 

 

                    Les Chercheuses de poux

Quand le front de l'enfant, plein de rouges tourmentes,
Implore l'essaim blanc des r�ves indistincts,
Il vient pr�s de son lit deux grandes s�urs charmantes
Avec de fr�les doigts aux ongles argentins.
 
Elles assoient l'enfant devant une crois�e
Grande ouverte o� l'air bleu baigne un fouillis de fleurs,
Et dans ses lourds cheveux o� tombe la ros�e
Prom�nent leurs doigts fins, terribles et charmeurs.
 
Il �coute chanter leurs haleines craintives
Qui fleurent de longs miels v�g�taux et ros�s,
Et qu'interrompt parfois un sifflement, salives
Reprises sur la l�vre ou d�sirs de baisers.
 
Il entend leurs cils noirs battant sous les silences
Parfum�s ; et leurs doigts �lectriques et doux
Font cr�piter parmi ses grises indolences
Sous leurs ongles royaux la mort des petits poux.
 
Voil� que monte en lui le vin de la Paresse,
Soupir d'harmonica qui pourrait d�lirer ;
L'enfant se sent, selon la lenteur des caresses,
Sourdre et mourir sans cesse un d�sir de pleurer.

Sommaire


 
Autographe. Dossier Verlaine 1871/d�but 1872. BNF.

Bon fac-simil� : SM-IV p.297-299.

     Cet autographe de 55 vers, sans titre, (unique manuscrit connu) para�t �tre un po�me incomplet, amput� de ses vingt premiers vers. On devine, � la lecture du texte, qu'il manque le d�but de l'histoire (un r�cit de r�ve peut-�tre, comme le sugg�rent les v.36-39). L'enqu�te �rudite confirme cette intuition. 

     En effet, il existait dans le "dossier Verlaine" (voir notice), � la suite de l'autographe sans titre de Rimbaud (p. 5-6), une copie de la main de Verlaine qui a �t� perdue, mais dont il nous reste la fin (p.7). Ce pr�cieux fragment contient (outre une strophe du po�me, barr�e par Verlaine parce que faisant double emploi avec l'autographe) trois indications de la main de Verlaine : un titre ("L'homme juste (suite)"); une date ("Juillet 1871") et le nombre de vers du po�me : "75 vers". Soit vingt de plus que dans notre autographe. Il faut savoir aussi que la feuille pr�c�dant imm�diatement nos 55 vers dans le "dossier Verlaine" (pages probablement num�rot�es 3-4) a �t� perdue. Or, on sait par le sommaire du dossier que la page 3 contenait probablement "Les Chercheuses de poux". On en d�duit que la page 4 (le verso) contenait les vingt vers manquants de "L'Homme juste".
     En vertu de cette analyse, nous num�rotons les vers du po�me de 21 � 75.
     
     Les deux derniers quintils pr�sentent sur le manuscrit une graphie n�glig�e, partiellement illisible, comme s'il s'agissait d'un passage h�tivement ajout�, apr�s coup (cf.SM-IV, 53). Nous les transcrivons en italiques.

1. Orthographe du manuscrit. Certains �diteurs corrigent : "becs de cane".
2. "Et cependant silencieux" dans ce qu'il nous reste de la copie Verlaine (p.7)
3. Manuscrit confus. AA, PB, AG : "le sucre" ; LF : "du sucre".
4. Manuscrit confus. PH, AA, PB : "bedaines" ; LF : "[...] daines" ; AG-09 : "de daines". David Ducoffre propose  : "ou daines" (Europe n� 966, p.128 ; blog Rimbaud ivre, 31/10/10).

5. Manuscrit confus. AA : "Puis" ; BB : "Mais" ; LF : [...] ; AG-09 : "Nuit", solution pr�c�demment avanc�e par SM-I, � titre d'hypoth�se.

 

Commentaire

                         L'Homme juste

.....................................................................................

      Le Juste restait droit sur ses hanches solides :
      Un rayon lui dorait l'�paule ; des sueurs
      Me prirent : � Tu veux voir rutiler les bolides ?
      Et, debout, �couter bourdonner les flueurs
25   D'astres lact�s, et les essaims d'ast�ro�des ?
 
      � Par des farces de nuit ton front est �pi�,
      � Juste ! Il faut gagner un toit. Dis ta pri�re,
      La bouche dans ton drap doucement expi� ;
      Et si quelque �gar� choque ton ostiaire,
30   Dis : Fr�re, va plus loin, je suis estropi� ! �
 
      Et le Juste restait debout, dans l'�pouvante
      Bleu�tre des gazons apr�s le soleil mort :
      � Alors, mettrais-tu tes genouill�res en vente,
      � vieillard ? P�lerin sacr� ! Barde d'Armor !
35   Pleureur des Oliviers ! Main que la piti� gante !
 
      � Barbe de la famille et poing de la cit�,
      Croyant tr�s doux : � c�ur tomb� dans les calices,
      Majest�s et vertus, amour et c�cit�,
      Juste ! plus b�te et plus d�go�tant que les lices !
40   Je suis celui qui souffre et qui s'est r�volt� !
 
      � Et �a me fait pleurer sur mon ventre, � stupide,
      Et bien rire, l'espoir fameux de ton pardon !
      Je suis maudit, tu sais ! Je suis so�l, fou, livide,
      Ce que tu veux ! Mais va te coucher, voyons donc,
45   Juste ! Je ne veux rien � ton cerveau torpide.
 
      � C'est toi le Juste, enfin, le Juste ! C'est assez !
      C'est vrai que ta tendresse et ta raison sereines
      Reniflent dans la nuit comme des c�tac�s !
      Que tu te fais proscrire et d�goises des thr�nes
50   Sur d'effroyables becs de canne1 fracass�s !
 
      � Et c'est toi l'�il de Dieu ! le l�che ! quand les plantes
      Froides des pieds divins passeraient sur mon cou,
      Tu es l�che ! � ton front qui fourmille de lentes !
      Socrates et J�sus, Saints et Justes, d�go�t !
55   Respectez le Maudit supr�me aux nuits sanglantes ! �
 
      J'avais cri� cela sur la terre, et la nuit
      Calme et blanche occupait les Cieux pendant ma fi�vre.
      Je relevai mon front : le fant�me avait fui,
      Emportant l'ironie atroce de ma l�vre...
60   Vents nocturnes, venez au Maudit ! Parlez-lui !
 
      Cependant que2, silencieux sous les pilastres
      D'azur, allongeant les com�tes et les n�uds
      D'univers, remuement �norme sans d�sastres,
      L'ordre, �ternel veilleur, rame aux cieux lumineux
65   Et de sa drague en feu laisse filer les astres !
 
      Ah ! qu'il s'en aille, lui, la gorge cravat�e
      De honte, ruminant toujours mon ennui, doux
      Comme le3 sucre sur la denture g�t�e.
      Tel que la chienne apr�s l'assaut des fiers toutous,
70   L�chant son flanc d'o� pend une entraille emport�e.
 
      Qu'il dise charit�s crasseuses et progr�s...
      � j'ex�cre tous ces yeux de Chinois [...] daines4,
      [...]5 qui chante : nana, comme un tas d'enfants pr�s
      De mourir, idiots doux aux chansons soudaines :
75   � Justes, nous chierons dans vos ventres de gr�s !

 

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Copie de la main de Verlaine. Dossier Verlaine 1871/d�but 1872. BNF.

Non dat�. Toutes les dates ont eu leurs partisans : 70, 71, 72. Le th�me est encore parnassien, mais la m�trique audacieuse et l'impressionnisme verlainien de cette sc�ne galante font pencher pour une date tardive. Steve Murphy admet "la forte probabilit� d'une composition entre septembre 1871 et les premiers mois de 1872" (Colloque de Kyoto, Klincksieck, 2006, p.74). 

PB (806) et SM-IV (541) proposent de consid�rer comme une autre version du po�me le texte publi� dans la seconde �dition des Po�tes maudits (1888), qui comporte plusieurs variantes significatives :
v.3 > D'�normes fleurs
v.4 > Vif et devant
v.5 > Le Faune affol�
v.6 > Et mord la fleur rouge avec ses dents
v.8 > par les branches
v.9 > Et quand il a fui, tel un �cureuil,
v.10 > Son rire perle
v.11 > Et l'on croit �peur�
v.12 > Le baiser d'or du bois qui se recueille

                   T�te de faune

Dans la feuill�e, �crin vert tach� d'or,
Dans la feuill�e incertaine et fleurie
De fleurs splendides o� le baiser dort,
Vif et crevant l'exquise broderie,
 
Un faune effar� montre ses deux yeux
Et mord les fleurs rouges de ses dents blanches :
Brunie et sanglante ainsi qu'un vin vieux
Sa l�vre �clate en rires sous les branches.
 
Et quand il a fui tel qu'un �cureuil
Son rire tremble encore � chaque feuille
Et l'on voit �peur� par un bouvreuil
Le Baiser d'or du Bois, qui se recueille

 

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Copie de la main de Verlaine. Dossier Verlaine 1871/d�but 1872. BNF.

Dat� de "mai 1871" sur le manuscrit.

Nous connaissons trois versions de ce texte :
Le C�ur supplici� > Archives Georges Izambard (1871)
Le C�ur du pitre >
Archives P.Demeny (1871)
Le C�ur vol� > Dossier Verlaine
(1871-d�but 72)


Les commentateurs se sont vivement int�ress�s � ces changements de titres. En outre Le C�ur vol� pr�sente des variantes significatives � l'�gard des deux premi�res versions : vers 2 (et 8), 10 (et 16), 11, 14, 19, 22. Le C�ur du pitre, version � peine diff�rente du C�ur supplici� mais dot�e d'un titre nouveau est le dernier autographe connu. AG-09, pour cette raison, la consid�re comme la version de r�f�rence.

    

Il existe aussi une quatri�me version, sans titre et d�ponctu�e : "Mon pauvre c�ur..." qui est une copie partielle de Verlaine dans Pauvre L�lian > Les Po�tes maudits 1888. cf. Variantes des Po�tes maudits. Je la reproduis ici, pour information :

Mon pauvre c�ur bave � la poupe
Mon c�ur est plein de caporal
Ils lui lancent des jets de soupe
Mon pauvre c�ur bave � la poupe
Sous les quolibets de la troupe
Qui pousse un rire g�n�ral
Mon pauvre c�ur bave � la poupe
Mon c�ur est plein de caporal

Ithyphalliques et pioupiesques
Leurs insultes l'ont d�prav�
� la vespr�e  ils font des fresques
Ithyphalliques et pioupiesques
O flots abracadabrantesques
Prenez mon c�ur qu'il soit sauv�.
Ithyphalliques et pioupiesques
Leurs insultes l'ont d�prav�.

 

          Le C�ur vol�

Mon triste c�ur bave � la poupe,
Mon c�ur couvert de caporal !
Ils y lancent des jets de soupe,
Mon triste c�ur bave � la poupe :
Sous les quolibets de la troupe
Qui pousse un rire g�n�ral,
Mon triste c�ur bave � la poupe,
Mon c�ur couvert de caporal !

Ithyphalliques et pioupiesques
Leurs quolibets l'ont d�prav� !
Au gouvernail on voit des fresques
Ithyphalliques et pioupiesques ;
� flots abracadabrantesques,
Prenez mon c�ur, qu'il soit lav�
Ithyphalliques et pioupiesques,
Leurs quolibets l'ont d�prav� !

Quand ils auront tari leurs chiques,
Comment agir, � c�ur vol� ?
Ce seront des hoquets bachiques
Quand ils auront tari leurs chiques !
J'aurai des sursauts stomachiques
Moi, si mon c�ur est raval� :
Quand ils auront tari leurs chiques,
Comment agir, � c�ur vol� ? 

Mai 1871

 

 

 

 

Sommaire


 
Autographe. BNF depuis 1957. Cote : NAF 14122.   

     Dat� (par Verlaine, sur le manuscrit) : "F�v.72". Steve Murphy incline � prendre au s�rieux cette date (SM-IV, p.87 et 542). Selon lui, Verlaine n'indique jamais les dates de recopiage en place de dates de composition. Pour des raisons de th�me et de style, les �diteurs situent traditionnellement la composition de ce po�me dans l'ann�e 1871. Il est cependant � noter que les proc�s de communeuses, dont on pense qu'ils auraient pu susciter le po�me, sont intervenus � la fin de l'ann�e 1871 : celui des P�troleuses (parmi lesquelles Anne-Marie Menand, dite Jeanne-Marie), en septembre 1871, et celui de Louise Michel le 16 d�cembre (cf. AA p.895).  

 
   Les vers 29-32 et 41-48 ont �t� ajout�s par Verlaine, en marge de l'autographe rimbaldien. De m�me, pour le vers 33, Verlaine indique en marge : "variante : casseuses". Ces additions laissent � penser que Verlaine a compl�t� l'autographe figurant dans son dossier � l'aide d'une autre version dont la trace a �t� perdue. Steve Murphy en vient � souhaiter que l'on abandonne la "traditionnelle version hybride" et que l'on imprime s�par�ment les trois strophes ajout�es (SM-IV, p.542-543). Nous les pr�sentons en italiques.

Commentaire


 

 

          Les Mains de Jeanne-Marie






05





10





15





20






25





30





35





40






45





50





55





60





Jeanne-Marie a des mains fortes,
Mains sombres que l'�t� tanna,
Mains p�les comme des mains mortes.
Sont-ce des mains de Juana ?
 
Ont-elles pris les cr�mes brunes
Sur les mares des volupt�s ?
Ont-elles tremp� dans des lunes
Aux �tangs de s�r�nit�s ?
 
Ont-elles bu des cieux barbares,
Calmes sur les genoux charmants ?
Ont-elles roul� des cigares
Ou trafiqu� des diamants ?
 
Sur les pieds ardents des Madones
Ont-elles fan� des fleurs d'or ?
C'est le sang noir des belladones
Qui dans leur paume �clate et dort.
 
Mains chasseresses des dipt�res
Dont bombinent les bleuisons
Aurorales, vers les nectaires ?
Mains d�canteuses de poisons ?
 
Oh ! quel R�ve les a saisies
Dans les pandiculations ?
Un r�ve inou� des Asies,
Des Khenghavars ou des Sions ?
 
Ces mains n'ont pas vendu d'oranges,
Ni bruni sur les pieds des dieux :
Ces mains n'ont pas lav� les langes
Des lourds petits enfants sans yeux.
 
Ce ne sont pas mains de cousine
Ni d'ouvri�res aux gros fronts
Que br�le, aux bois puant l'usine,
Un soleil ivre de goudrons.

 
Ce sont des ployeuses d'�chines,
Des mains qui ne font jamais mal,
Plus fatales que des machines,
Plus fortes que tout un cheval !
 
Remuant comme des fournaises,
Et secouant tous ses frissons,
Leur chair chante des Marseillaises
Et jamais les Eleisons !
 
�a serrerait vos cous, � femmes
Mauvaises, �a broierait vos mains,
Femmes nobles, vos mains inf�mes
Pleines de blancs et de carmins.
 
L'�clat de ces mains amoureuses
Tourne le cr�ne des brebis !
Dans leurs phalanges savoureuses
Le grand soleil met un rubis !

 
Une tache de populace
Les brunit comme un sein d'hier ;
Le dos de ces Mains est la place
Qu'en baisa tout R�volt� fier !
 
Elles ont p�li, merveilleuses,
Au grand soleil d'amour charg�,
Sur le bronze des mitrailleuses
� travers Paris insurg� !
 
Ah ! quelquefois, � Mains sacr�es,
� vos poings, Mains o� tremblent nos
L�vres jamais d�senivr�es,
Crie une cha�ne aux clairs anneaux !
 
Et c'est un soubresaut �trange
Dans nos �tres, quand, quelquefois,
On veut vous d�h�ler, Mains d'ange,
En vous faisant saigner les doigts !

                                           F�v. 72

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Copie de la main de Verlaine. Dossier Verlaine 1871/d�but 1872. BNF.

Faite  probablement en 1871.

Nous reproduisons trois versions diff�rentes des "Effar�s" :
     - la premi�re est celle du Recueil de Douai. Elle est dat�e du 20 septembre 1870. Voir ce texte > Dossier P.Demeny (1870) dit "Recueil de Douai"
   - la seconde est aussi un autographe. Elle a �t� jointe par Rimbaud � une lettre destin�e � Jean Aicard (dont l'enveloppe porte la date du 20 juin 1871). L'ann�e de la date inscrite au bas du po�me est difficilement lisible : 
     Juin 1871 (LF, p.439) ?  Auquel cas Rimbaud aurait indiqu� la date du recopiage (et de la correction) du texte ? 
     Juin 1870 (SM-IV, p.533) ? auquel cas il aurait pu vouloir indiquer le moment approximatif de l'�laboration. 
   Des variantes significatives s'observent par rapport � la version du Recueil de Douai aux v. 16-17, 29, 31.
    Voir ce texte >
Lettre � Jean Aicard
du 20 juin 1871   
   - la troisi�me version (texte ci-contre, en transcription "diplomatique" : les fautes d'orthographe comprises) est une copie de la main de Verlaine dans son recueil de po�mes de Rimbaud confectionn� entre septembre 1871 et f�vrier 1872. Le po�me n'y est pas dat�. Des variantes significatives s'observent par rapport � la version du Recueil de Douai aux v. 12, 16-17, 26, 29, 31-32, 35.

   Il existe trois autres versions qu'on ne reproduit pas ici :
- Une autre copie de la main de Verlaine, dont Murphy donne le texte dans SM-I (voir p. 262-263, 271-272), mais dont il n'existe pas de fac-simil�. Elle ne pr�sente que quelques variantes mineures de ponctuation par rapport � la copie Verlaine que nous publions.
- Une version imprim�e en janvier 1888 dans The Gentleman's Magazine sous le titre Petits pauvres.
- Enfin, la version des Po�tes maudits.
Voir ces textes dans AG-9 p.85-88.
Le texte des Po�tes maudits offre comme principale variante le regroupement des tercets deux � deux, une pr�sentation en sizains.

 

 

 

 

                   
              Les Effar�s

Noirs dans la neige et dans la brume,
Au grand soupirail qui s'allume,
     Leurs culs en rond

A genoux, cinq petits, mis�re !
Regardent le boulanger faire
     Le lourd pain blond

Ils voient le fort bras blanc qui tourne
La p�te grise et qui l'enfourne
     Dans un trou clair.

Ils �coutent le bon pain cuire.
Le Boulanger au gras sourire
     Chante un vieil air.

Ils sont blottis, pas un ne bouge,
Au souffle du soupirail rouge,
     Chaud comme un sein.

Quand, pour quelque m�dianoche,
Fa�onn� comme une brioche,
     On sort le pain,

Quand, sous les poutres enfum�es,
Chantent les cro�tes parfum�es,
     Et les grillons,

Quand ce trou chaud souffle la vie
Ils ont leur �me si ravie,
     Sous leurs haillons,

Ils se resentent si bien vivre,
Les pauvres J�sus pleins de givre
     Qu'ils sont la tous,

Collant leurs petits museaux roses
Au treillage, grognant des choses
     Entre les trous,

Tout b�tes, faisant leurs pri�res,
Et repli�s vers ces lumi�res
     Du ciel rouvert,

Si fort, qu'ils cr�vent leur culotte,
Et que leur chemise tremblotte
     Au vent d'hiver.

 

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Copie de la main de Verlaine. Dossier Verlaine 1871/d�but 1872. BNF.

Il existe deux versions manuscrites, non dat�es :
- la premi�re (ci-contre), intitul�e Les Voyelles, est le texte du "dossier Verlaine de 1871-d�but 1872", c'est une copie de la main de Verlaine.
- la seconde, autographe, a appartenu � �mile Bl�mont. Elle est tr�s probablement post�rieure : "Les variantes des manuscrits autographes de Voyelles et d'Oraison du soir semblent prouver que ce sont des textes post�rieurs" (SM-IV, 89).
Les �diteurs choisissent la version autographe plut�t que la copie faite par Verlaine. Voir ce texte > Deux autographes alternatifs de po�mes du dossier Verlaine.

Principales variantes de la copie Verlaine (ci-contre) par rapport au texte de l'autographe :
Titre : "Les Voyelles" (au lieu de "Voyelles")
v.1 : "," entre la lettre et l'adjectif de couleur, ";" entre les diff�rentes couleurs
v.2 : "." (au lieu de ":" apr�s "latentes")
v.5 : "frissons" ("candeurs")
v.6 : "gla�ons" ("glaciers") ; "rais" ("rois")     
v.7 : "pourpre" ("pourpres")
v.9 : " ; " (" , ")
v.11 : "Qu'imprima l'alchimie aux doux fronts studieux"
v.12 : "de strideurs" ("des strideurs")
v.13 : "..." (":")
v.14 : "O" ("�") ; "ses" ("Ses") ; "yeux" ("Yeux")

Variantes des Po�tes maudits par rapport au texte de l'autographe
Les Po�tes maudits
(Lut�ce, n�88, 5-12 oct. 1883, Vanier 1884, Vanier 1888) donne pour ce po�me le texte de l'autographe � quelques variantes pr�s :
v.1 : O bleu : voyelles, > O bleu, voyelles,
v.2 : vos naissances latentes : > vos naissances latentes.
v.5 : E, candeurs > E candeur

v.8 : l�vres belles > l�vres belles,
v.14 : � � l'Om�ga > � O l'Om�ga

Commentaire

       

                             

Les Voyelles

A, noir ; E, blanc ; I, rouge ; U vert ; O, bleu : voyelles,
Je dirai quelque jour vos naissances latentes.
A, noir corset velu des mouches �clatantes
Qui bombinent autour des puanteurs cruelles,
 
Golfes d'ombre. E, frissons des vapeurs et des tentes,
Lances de gla�ons fiers, rais blancs, frissons d'ombelles !
I, pourpre, sang crach�, rire des l�vres belles
Dans la col�re ou les ivresses p�nitentes,
 
U, cycles, vibrements divins des mers virides ;
Paix des p�tis sem�s d'animaux ; paix des rides
Qu'imprima l'alchimie aux doux fronts studieux.
 
O, supr�me clairon plein de strideurs �tranges,
Silences travers�s des Mondes et des Anges...
O l'Om�ga, rayon violet de ses yeux !

 

 

 

 

 

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Copie de la main de Verlaine. Dossier Verlaine 1871/d�but 1872. BNF.

Non dat�.

Le manuscrit ne porte pas de titre. Les �ditions le d�signent souvent par son incipit : "L'�toile a pleur� rose...". Le po�me appara�t aussi sous le titre de "Madrigal", dans une liste, sorte de table des mati�res r�dig�e par Verlaine pour son dossier des po�mes de Rimbaud (notice).

Commentaire

               

L'�toile a pleur� rose au c�ur de tes oreilles,
L'infini roul� blanc de ta nuque � tes reins
La mer a perl� rousse � tes mammes vermeilles
Et l'Homme saign� noir � ton flanc souverain.

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Copie de la main de Verlaine. Dossier Verlaine 1871/d�but 1872. BNF.

Non dat�. Pour PB (810) le texte doit �tre consid�r� comme n�cessairement post�rieur au Trait� de Francfort mettant fin � la guerre avec la Prusse (10 mai 1871) et ant�rieur au mois d'ao�t 1871 au cours duquel Delahaye aurait recopi� le po�me pour l'envoyer � Verlaine. 

                              Les Douaniers

Ceux qui disent : Cr� Nom, ceux qui disent macache,
Soldats, marins, d�bris d'Empire, retrait�s,
Sont nuls, tr�s nuls, devant les Soldats des Trait�s
Qui tailladent l'azur fronti�re � grands coups d'hache.
 
Pipe aux dents, lame en main, profonds, pas emb�t�s,
Quand l'ombre bave aux bois comme un mufle de vache,
Ils s'en vont, amenant leurs dogues � l'attache,
Exercer nuitamment leurs terribles ga�t�s !
 
Ils signalent aux lois modernes les faunesses.
Ils empoignent les Fausts et les Diavolos.
� Pas de �a, les anciens ! D�posez les ballots ! �
 
Quand sa s�r�nit� s'approche des jeunesses,
Le Douanier se tient aux appas contr�l�s !
Enfer aux D�linquants que sa paume a fr�l�s !

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Copie de la main de Verlaine. Dossier Verlaine 1871/d�but 1872. BNF.

Il existe deux versions de ce texte :
- la premi�re en date de ces deux versions est sans doute l'allographe du Dossier Verlaine (ci-contre).
- la seconde, post�rieure, a appartenu � L�on Valade. "Les variantes des manuscrits autographes de Voyelles et d'Oraison du soir semblent prouver que ce sont des textes post�rieurs" (SM-IV, 89). Les �diteurs choisissent cet autographe plut�t que le texte ant�rieur fourni par le dossier Verlaine. Voir � ce texte.

Variantes de la copie Verlaine par rapport � l'autographe :
v.1 : "un Ange"
v.4 : "sous les cieux gros d'impalpables voilures"
v.7 : "mon c�ur tendre" (justifie la comparaison avec l'aubier).
v.9 : "Et quand" (au lieu de "Puis, quand").
 

Les Po�tes maudits de 1884 donnent le texte de l'autographe � quelques variantes pr�s (de ponctuation et de majuscules).

                                   Oraison du soir

Je vis assis, tel qu'un Ange aux mains d'un barbier,
Empoignant une chope � fortes cannelures,
L'hypogastre et le col cambr�s, une Gambier
Aux dents, sous les cieux gros d'impalpables voilures,

Tels que les excr�ments chauds d'un vieux colombier,
Mille R�ves en moi font de douces br�lures :
Puis, par instants, mon c�ur tendre est comme un aubier
Qu'ensanglante l'or jeune et sombre des coulures.

Et, quand j'ai raval� mes r�ves avec soin,
Je me tourne, ayant bu trente ou quarante chopes,
Et me recueille, pour l�cher l'�cre besoin :

Doux comme le Seigneur du c�dre et des hysopes,
Je pisse vers les cieux bruns, tr�s-haut et tr�s-loin,
� Avec l'assentiment des grands h�liotropes. 

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Copie de la main de Verlaine. Dossier Verlaine 1871/d�but 1872. BNF.

Dat� de juin 1871.

   

                    Les S�urs de charit�

Le jeune homme dont l'�il est brillant, la peau brune,
Le beau corps de vingt ans qui devrait aller nu,
Et qu'e�t, le front cercl� de cuivre, sous la lune
Ador�, dans la Perse un G�nie inconnu,
 
Imp�tueux avec des douceurs virginales
Et noires, fier de ses premiers ent�tements,
Pareil aux jeunes mers, pleurs de nuits estivales,
Qui se retournent sur des lits de diamants ;
 
Le jeune homme, devant les laideurs de ce monde
Tressaille dans son c�ur largement irrit�,
Et plein de la blessure �ternelle et profonde,
Se prend � d�sirer sa s�ur de charit�.
 
Mais, � Femme, monceau d'entrailles, piti� douce,
Tu n'es jamais la S�ur de charit�, jamais,
Ni regard noir, ni ventre o� dort une ombre rousse,
Ni doigts l�gers, ni seins splendidement form�s.
 
Aveugle irr�veill�e aux immenses prunelles,
Tout notre embrassement n'est qu'une question :
C'est toi qui pends � nous, porteuse de mamelles,
Nous te ber�ons, charmante et grave Passion.
 
Tes haines, tes torpeurs fixes, tes d�faillances
Et les brutalit�s souffertes autrefois,
Tu nous rends tout, � Nuit pourtant sans malveillances,
Comme un exc�s de sang �panch� tous les mois.
 
Quand la femme, port�e un instant, l'�pouvante,
Amour, appel de vie et chanson d'action,
Viennent la Muse verte et la Justice ardente
Le d�chirer de leur auguste obsession.
 
Ah ! sans cesse alt�r� des splendeurs et des calmes,
D�laiss� des deux S�urs implacables, geignant
Avec tendresse apr�s la science aux bras almes,
Il porte � la nature en fleur son front saignant.
 
Mais la noire alchimie et les saintes �tudes
R�pugnent au bless�, sombre savant d'orgueil ;
Il sent marcher sur lui d'atroces solitudes.
Alors, et toujours beau, sans d�go�t du cercueil,
 
Qu'il croie aux vastes fins, R�ves ou Promenades
Immenses, � travers les nuits de V�rit�,
Et t'appelle en son �me et ses membres malades,
� Mort myst�rieuse, � s�ur de charit�.

                                                           Juin 1871

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Copie de la main de Verlaine. Dossier Verlaine 1871/d�but 1872. BNF.

Dat� de Juillet 1871.


Nous connaissons trois copies verlainiennes de ce po�me :

1) Une version intitul�e Premi�res Communions compos�e de huit sections.

Biblioth�que Jacques Doucet

Elle a �t� r�alis�e par Verlaine en 1886 en vue d'une �dition dans La Vogue. Nous ne reproduisons pas ce texte que Steve Murphy, g�n�ralement tr�s confiant dans les copies de Verlaine, consid�re comme une transcription m�diocre (SM-IV, p.62).

Fac-simil� : SM-IV, p.485-491.

Publi� dans La Vogue n�1 du 11 avril 1886.
Fac-simil� partiel de ce num�ro de La Vogue (merci Michel ) :
 

Principales variantes La Vogue 
v.5 : "� travers les feuillages"
v.6 : "vitraux ensoleill�s"
v.22 : "a mis ses doigts"
v.24 : "ces fronts bruissants"
v.30 : "Ces deux seuls"
v.42 : "au ciel noir"
v.77 : "elle s'agite et cambre"
v.82 : "Devant le ciel bleu"
v.92 : "�coute"
v.97 : "les latrines"
v.101 : "l'ombre des toits"
v.106 : "ce qui lui viendra"
v.108 : "rongera"
v.119 : "des laines"
v.122 : "dans sa conscience"
v.126 : "les avoir bus"
v.131 : "ils avaient couch�"

2) Une version intitul�e Les Premi�res Communions compos�e de huit sections provenant de Jules Clar�tie.

Seule la premi�re page en �tait connue (SM-IV, p.484) jusqu'� sa mise en vente chez Sotheby's, le 15 d�cembre 2010. La seconde �dition 2015 de la Pl�iade Guyaux ne la reproduit encore que partiellement.

3) La version du Dossier Verlaine (ci-contre), intitul�e Les Premi�res Communions et compos�e de neuf sections (SM-IV p.309-314).

Section I v.39 : le ms. �crit "nazillement". Les �diteurs corrigent.
Section VI v.104 : le ms. �crit "souffraient"
Section VIII v.117 : les guillemets qui s'ouvrent � ce vers ne sont jamais referm�s sur le manuscrit.

 


 

 

 

                   Les Premi�res Communions

                                        I

Vraiment, c'est b�te, ces �glises des villages
O� quinze laids marmots encrassant les piliers
�coutent, grasseyant les divins babillages,
Un noir grotesque dont fermentent les souliers :
Mais le soleil �veille, � travers des feuillages,
Les vieilles couleurs des vitraux irr�guliers.
 
La pierre sent toujours la terre maternelle.
Vous verrez des monceaux de ces cailloux terreux
Dans la campagne en rut qui fr�mit solennelle
Portant pr�s des bl�s lourds, dans les sentiers ocreux,
Ces arbrisseaux br�l�s o� bleuit la prunelle,
Des n�uds de m�riers noirs et de rosiers fuireux.
 
Tous les cent ans on rend ces granges respectables
Par un badigeon d'eau bleue et de lait caill� :
Si des mysticit�s grotesques sont notables
Pr�s de la Notre-Dame ou du Saint empaill�,
Des mouches sentant bon l'auberge et les �tables
Se gorgent de cire au plancher ensoleill�.
 
L'enfant se doit surtout � la maison, famille
Des soins na�fs, des bons travaux abrutissants ;
Ils sortent, oubliant que la peau leur fourmille
O� le Pr�tre du Christ plaqua ses doigts puissants.
On paie au Pr�tre un toit ombr� d'une charmille
Pour qu'il laisse au soleil tous ces fronts brunissants.
 
Le premier habit noir, le plus beau jour de tartes
Sous le Napol�on ou le Petit Tambour
Quelque enluminure o� les Josephs et les Marthes
Tirent la langue avec un excessif amour
Et que joindront, au jour de science, deux cartes,
Ces seuls doux souvenirs lui restent du grand Jour.
 
Les filles vont toujours � l'�glise, contentes
De s'entendre appeler garces par les gar�ons
Qui font du genre apr�s messe ou v�pres chantantes.
Eux qui sont destin�s au chic des garnisons
Ils narguent au caf� les maisons importantes
Blous�s neuf, et gueulant d'effroyables chansons.
 
Cependant le Cur� choisit pour les enfances
Des dessins ; dans son clos, les v�pres dites, quand
L'air s'emplit du lointain nasillement des danses,
Ils se sent, en d�pit des c�lestes d�fenses,
Les doigts de pied ravis et le mollet marquant ; 
La Nuit vient, noir pirate aux cieux d'or d�barquant.

                                II

Le Pr�tre a distingu� parmi les cat�chistes,
Congr�g�s des Faubourgs ou des Riches Quartiers,
Cette petite fille inconnue, aux yeux tristes,
Front jaune. Les parents semblent de doux portiers
� Au grand Jour, le marquant parmi les Cat�chistes,
Dieu fera sur ce front neiger ses b�nitiers. �
 
 
                               III
 
La veille du grand Jour, l'enfant se fait malade.
Mieux qu'� l'�glise haute aux fun�bres rumeurs,
D'abord le frisson vient, le lit n'�tant pas fade
Un frisson surhumain qui retourne : � Je meurs... �
Et, comme un vol d'amour fait � ses s�urs stupides,
Elle compte, abattue et les mains sur son c�ur,
Les Anges, les J�sus et ses Vierges nitides
Et, calmement, son �me a bu tout son vainqueur.
 
Adona� !... Dans les terminaisons latines,
Des cieux moir�s de vert baignent les Fronts vermeils
Et tach�s du sang pur des c�lestes poitrines
De grands linges neigeux tombent sur les soleils !
 
Pour ses virginit�s pr�sentes et futures
Elle mord aux fra�cheurs de ta R�mission,
Mais plus que les lys d'eau, plus que les confitures,
Tes pardons sont glac�s, � Reine de Sion !
 
 
                              IV
 
Puis la Vierge n'est plus que la vierge du livre
Les mystiques �lans se cassent quelquefois....
Et vient la pauvret� des images, que cuivre
L'ennui, l'enluminure atroce et les vieux bois ;
 
Des curiosit�s vaguement impudiques
�pouvantent le r�ve aux chastes bleuit�s
Qui s'est surpris autour des c�lestes tuniques,
Du linge dont J�sus voile ses nudit�s.
 
Elle veut, elle veut, pourtant, l'�me en d�tresse,
Le front dans l'oreiller creus� par les cris sourds
Prolonger les �clairs supr�mes de tendresse,
Et bave... L'ombre emplit les maisons et les cours.
 
Et l'enfant ne peut plus. Elle s'agite, cambre
Les reins et d'une main ouvre le rideau bleu
Pour amener un peu la fra�cheur de la chambre
Sous le drap, vers son ventre et sa poitrine en feu...
 
 
                               V
 
� son r�veil, minuit, la fen�tre �tait blanche.
Devant le sommeil bleu des rideaux illun�s,
La vision la prit des candeurs du dimanche ;
Elle avait r�v� rouge. Elle saigna du nez
 
Et se sentant bien chaste et pleine de faiblesse
Pour savourer en Dieu son amour revenant
Elle eut soif de la nuit o� s'exalte et s'abaisse
Le c�ur, sous l'�il des cieux doux, en les devinant
 
De la nuit, Vierge-M�re impalpable, qui baigne
Tous les jeunes �mois de ses silences gris ;
Elle eut soif de la nuit forte o� le c�ur qui saigne
�coule sans t�moin sa r�volte sans cris.
 
Et faisant la Victime et la petite �pouse,
Son �toile la vit, une chandelle aux doigts,
Descendre dans la cour o� s�chait une blouse,
Spectre blanc, et lever les spectres noirs des toits...
 
 
                             VI
 
Elle passa sa nuit sainte dans des latrines.
Vers la chandelle, aux trous du toit coulait l'air blanc,
Et quelque vigne folle aux noirceurs purpurines,
En de�� d'une cour voisine s'�croulant.
 
La lucarne faisait un c�ur de lueur vive
Dans la cour o� les cieux bas plaquaient d'ors vermeils
Les vitres ; les pav�s puant l'eau de lessive
Soufraient l'ombre des murs bond�s de noirs sommeils.
...........................................................................
 

                             VII
 
Qui dira ces langueurs et ces piti�s immondes,
Et ce qu'il lui viendra de haine, � sales fous
Dont le travail divin d�forme encor les mondes,
Quand la l�pre � la fin mangera ce corps doux ?
............................................................................
 

                             VIII
 
Et quand, ayant rentr� tous ses n�uds d'hyst�ries
Elle verra, sous les tristesses du bonheur,
L'amant r�ver au blanc million des Maries,
Au matin de la nuit d'amour, avec douleur :
 
� Sais-tu que je t'ai fait mourir ? J'ai pris ta bouche,
Ton c�ur, tout ce qu'on a, tout ce que vous avez ;
Et moi, je suis malade : Oh ! je veux qu'on me couche
Parmi les Morts des eaux nocturnes abreuv�s !
 
� J'�tais bien jeune, et Christ a souill� mes haleines
Il me bonda jusqu'� la gorge de d�go�ts !
Tu baisais mes cheveux profonds comme les laines
Et je me laissais faire :... ah ! va, c'est bon pour vous,
 
Hommes ! qui songez peu que la plus amoureuse
Est, sous sa conscience aux ignobles terreurs
La plus prostitu�e et la plus douloureuse,
Et que tous nos �lans vers Vous sont des erreurs !
 
Car ma Communion premi�re est bien pass�e
Tes baisers, je ne puis jamais les avoir sus :
Et mon c�ur et ma chair par ta chair embrass�e
Fourmillent du baiser putride de J�sus !
 

                                IX
 
Alors l'�me pourrie et l'�me d�sol�e
Sentiront ruisseler tes mal�dictions.
Ils auront couch� sur ta Haine inviol�e,
�chapp�s, pour la mort, des justes passions,
 
Christ ! � Christ, �ternel voleur des �nergies,
Dieu qui pour deux mille ans vouas � ta p�leur
Clou�s au sol, de honte et de c�phalalgies
Ou renvers�s les fronts des femmes de douleur. 

                                                    Juillet 1871

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